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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:50

            

L'autocar nous dépose dans le quartier proche de la Grande Mosquée aux coupoles d'or et aux murs de mosaïques. Fort de notre système, nous entrons dans le premier commissariat rencontré espérant y trouver l'accueil nécessaire. Peine perdue, cette fois-ci la porte nous est refermée au nez.

Il est plus de vingt-trois heures et les hôtels sont maintenant fermés. A la recherche d'un coin tranquille, nous entrons dans un parc. Il n'y a pas deux minutes que nous sommes installés qu'un méchant gardien vient nous déloger. Un autre endroit doit être trouvé. En s'éloignant du centre, nous passons près d'une grande fosse en V qui fait le tour de la ville. C'est un terrain vague que des chiens errants se partagent. Large de cinquante mètres et profond de dix, il délimite la ville des faubourgs. Sur le haut, de chaque côté, un chemin longe l'arrière des maisons. On s'y engouffre. Au bout de quelques instants, l'obscurité est complète. Nous progressons difficilement à tâtons sur une centaine de mètres. Sans être rassurés, la couverture est jetée au bord de ce chemin. Isolé, loin des rues et dans le noir, l'emplacement est incertain. Nous dormirons à tour de rôle. Je prends le premier quart.

Eddo essaye de s'endormir recroquevillé dans son duvet. Assis, ma couverture sur les genoux, j'entends des bruits suspects, peut-être des chiens ou bien des rôdeurs. Je n'en mène pas large. C'est vrai que de temps en temps passent des ombres. L'atmosphère est pesante. Je ne pourrais jamais dormir dans cet endroit malfamé et je sens  Eddo ne dormir que d'un oeil, il est visiblement angoissé.

Vers deux heures, j'aperçois au loin depuis un pont, les lueurs de deux grosses torches avec des silhouettes qui s'animent derrière. Les faisceaux lumineux semblent nous chercher. Je tape sur l'épaule d'Eddo. Comprenant qu'il se passe quelque chose, il se lève. A cet instant, deux carabiniers arrivent à notre hauteur et nous demandent de quitter ce coupe-gorge. Pas de discussion, je sens bien qu'ils ont raison et nous remballons nos gaules de nouveau.

La nuit est bien entamée et nous devons dormir. Galérants dans les rues du faubourg sans trouver de quoi s'isoler, nous finissons par poser nos sacs sur le trottoir d'un quartier plus calme. Recroquevillés sur la terre battue, nous nous endormons.

Au petit matin, une femme européenne nous aborde et nous offre l'hospitalité. Il est vrai qu'une bonne toilette est la bienvenue. Elle est française et accompagne son mari en déplacement sur un chantier. Son appartement est coquet et la salle de bains confortable. Propres comme deux sous neufs, nous sommes invités à manger quelques fruits.

Requinqués, nous quittons la maison pour rechercher le consulat afghan. Un visa de transit est nécessaire pour traverser l'Afganistan. Là, pas de chance. L'agent consulaire nous apprend que le passeport doit transiter par l'ambassade à Téhéran. Un minimum de trois jours est nécessaire pour son retour.

Prenant notre mal en patience, un petit hôtel doit être trouvé. Seulement, sans papier, aucun ne nous accepte. La solution est de retourner récupérer nos passeports, trouver une chambre et rapporter les papiers. Seulement, c'est sans compter sur le consulat qui a déjà expédié les indispensables documents. Démunis de notre pièce d'identité nous voilà dehors. C'est une chose à laquelle je n'ai pas pensé. Condamnés à la rue, nous trouvons refuge dans une venelle sans issue, enserrée entre deux hauts murs de pisé. Ici, nous serons tranquilles. Seule sur le fond, une porte fermée donne accés à l'impasse.

Dès notre première nuit dans la ruelle, je tombe malade. Une dysenterie carabinée m'oblige à trouver de toute urgence des toilettes. Je tourne et vire dans la rue adjacente. N'en pouvant plus, je pousse la porte d'une habitation et m'engouffre à l'intérieur de la cour carrée. Je cherche la porte des W-C que je trouve rapidement. Heureusement, ils sont libres. Il était temps. C'est un chiotte à la turc équipé d'un broc d'eau et du journal de la veille découpé en lambeau. Des sueurs froides me parcourent le corps. Je ressors affaibli de cette épreuve le journal à la main. Un bruit attire l'attention de la maîtresse de maison que j'entrevois sur la terrasse du premier étage au moment de quitter la cour du riad. La pauvre a dû être surprise de voir sortir quelqu'un de chez elle, qui plus est un européen!

De retour dans mon impasse, je ne bouge plus de la journée. Calé contre mon paquetage, je souffre en silence et n'ose plus boire ni manger. Eddo ne sait que faire pour m'aider. Il n'est plus possible que je retourne aux toilettes comme je l'ai fait ce matin et c'est au fond de la ruelle que je jette mon dévolu.

Le lendemain est aussi terrible. Je passe la moitié de mon temps accroupi. Je me vide complètement, mes forces m'abandonnent et je tremble de tout mon corps. Les souillures sont recouvertes avec la poussière épaisse du sol. Heureusement, personne n'emprunte ce passage. De temps en temps, j'aperçois une femme marcher en haut du grand mur. Elle jette en bas de petits coups d'oeil furtifs.


Le jour suivant, je me traîne avec Eddo jusqu'au consulat pour avoir des nouvelles de nos passeports. Il est trop tôt et nous devons encore végéter deux jours dans notre enclave. Demain est jour de repos.

Ce vendredi, une Jeep s'arrête à l'entrée de l'impasse. Deux hommes en descendent et nous rejoignent:

- Lequel d'entre vous est malade? >>, demande l'un d'entre eux en français.

- Moi >> lui réponds-je.

-Nous sommes assistants sanitaires, désirez-vous nous suivre à l'hôpital, s'il vous plait?

Après réflexion, et bien qu'une cure de pénicilline me remettrait d'aplomb, je ne peux accepter. Eddo resterait seul et dans mon état, je risque d'être rapatrié. Je décline poliment la proposition prétextant de notre départ dès demain au reçu des passeports. Acceptant mes explications, ils nous saluent et m'invitent à ne pas hésiter à venir à l'hôpital en cas d'urgence. Je crois que c'est la femme du haut qui a signalé mes problèmes. Les gens sont tout de même serviables dans ce pays.

Nos papiers sont enfin rentrés de l'ambassade. Le visa nous coûte six dollars chacun. Quand bien même nous aurions pensé à le prendre à Téhéran, ils nous auraient été impossible d'en payer le montant. Au plus vite, nous achetons un billet d'autocar pour Islam-kala, la frontière afghane. Demain matin, nous aurons quitté la ville sainte. 
                 


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:40





Au pays du moyen âge:


Le vent du nord soulève des masses de poussière au passage de notre bus, un vieux Bedford rempli de pèlerins Afghans retournants dans leur village. Sur le toit, d'énormes baluchons sont harnachés. Un paysage de pierres, de sable et de steppe à perte de vue défile derrière la vitre. Nous croisons de temps à autre une oasis de dattiers et de pistachiers. Aux environs de midi, l'autocar se gare devant un tchaï-kané, vulgaire gourbi de bois et de toile battue à tous vents. Le plat est le même pour tout le monde: riz au mouton ou kebab. Je ne suis pas encore entièrement remis et je demande les latrines. Derrière la cuisine, un trou profond creusé au grand air sert de lieu d'aisance. Enjambant une partie du vide pour rejoindre une planche posée en travers de la fosse, j'entends un gros bourdonnement monter du fond. Une odeur insoutenable s'élève de l'amas de matière compacte qui gît par deux mètres en dessous. Je retiens l'équilibre sur mon frêle promontoire.

Le bus s'ébranle de nouveau, plusieurs arrêts prières ponctuent la monotonie du voyage. Des villages perdus sont traversés: Torbat-é-Vam, Torbat-é-Cheikhdjam et Tââbâb avant d'atteindre la douane Iranienne. Passeports, cachets et le militaire ouvre la barrière qui autorise la piste. Dégageant autant de poussière, nous filons maintenant au poste Afghan installé peu avant Islam-kala, la Citadelle de l'Islam. Une distance de trente kilomètres sépare les deux postes. Les formalités douanières sont interminables et la chaleur étouffante. Le gérant de la pompe à essence nous propose une plaque de haschisch qu'il sort de son pantalon bouffant. Il change également l'argent. N'existant pas de guichet officiel en Afghanistan, nous convertissons des dollars pour récupérer une énorme liasse d'afghanis aux billets sales et délabrés. Qui dit que l'argent n'a pas d'odeur!

L'autocar d'Hérat attend derrière la barrière. Les voyageurs lancent les bagages sur le toit et prennent place sur les banquettes plus que fatiguées.

Nous roulons le long de l'Héri-Rud pendant une bonne centaine de kilomètres. Le jour se ferme sur cette immensité où souffle l'été, le vent des cent vingts jours. Un vent avec des pointes de cent kilomètres/heure soulevant des tonnes de sable pendant quatre mois et qui mène la vie difficile aux habitants.

Il est tard, l'autocar s'immobilise devant le caravansérail d'Hérat. L'endroit est une auberge pour voyageurs ayant emprunté le bus ou bien encore le cheval. Passant sous le grand porche, nous entrons dans la cour. Près des écuries, des palefreniers enturbanés s'affairent autour de magnifiques chevaux. Au-dessus du patio, de larges terrasses en planches servent de couloirs extèrieurs. Le manager est à l'étage près des cuisines. Pour la nuit, on se contentera d'une natte étendue dans une pièce commune. Il y a bien des lits de corde, mais je reste volontairement prudent sur les dépenses. Au repas de ce soir, il y a bien entendu du riz au mouton.

La prochaine étape est Kandahar. Le billet de bus est acheté en ville. Les rues d'Hérat sont larges et rectilignes, le sol en terre battue et les trottoirs en bois pour éviter la boue et la neige. Un gigantesque minaret, décoré de briques émaillées, surplombe le centre. Au grand carrefour, un agent à l'uniforme rapiécé dirige une circulation hétéroclite. De nombreuses tongas (calèches) menées par de maigres chevaux à pompons rouges et grelots croisent quelques vieux camions, bus et bicyclettes. Une multitude de boutiques échelonnée de chaque côté des rues offre une quantité de choses peu ordinaires. Les échoppes de fourreur sont inondées de manteaux en loup gris ou blanc, renard et astrakan. Des toques en karakul sont empilées les unes sur les autres, des gilets sans manche brodés de fil doré brillent de lumière. Plus loin, les boutiques de fruits s'amoncellent en pyramides: dattes, raisins, pistaches, pommes et pastèques. L'échoppe voisine est une boucherie. Trois morceaux de viande aux reflets verdâtres pendent à des esses, une nuée de mouches en assure la garde.

 


Hérat


Hérat est la seconde ville du pays, ses habitants y parlent le Persan moyenâgeux. La route asphaltée qui mène à Kabul (1100 km) commence ici. Elle fut construite par les russes l'année dernière tandis que les américains ouvraient au même moment l'aéroport international. C'est une des seules du pays avec celle qui rejoint Kabul à Tachken au Kazakhstan. Avant sa construction, il n'était pas rare de mettre quinze jours pour rejoindre les deux villes au lieu de trente-six heures maintenant.


Le bus est bientôt prêt à partir. C'est encore une vieille relique de Bedford au nez allongé. Sur le toit, deux moutons liés aux pattes sont installés confortablement avec les bagages. Un Afghan les veillera tout le long du voyage.

Notre chauffeur, le pied cloué au plancher, ne ralentit que pour s'arrêter, ça passe ou ça casse. La circulation est à l'anglaise, mais habitués à rouler sur les pistes, les conducteurs s'approprient la route et ne se déportent à gauche qu'au dernier moment ce qui est très décontractant pour le voyageur! Il va s'en dire qu'il est pratiquement impossible de doubler un autre véhicule.

Au nord d'Hérat, viennent mourir sur les plaines du Turkestan les derniers contreforts de l'Hindou Kush (pied de l'Himalaya de 3000 à 7500 m). C'est un véritable paysage lunaire qui nous accompagnera jusqu'à Kabul. Au sud, les bras ravinés du Firuz-Koh et du Siah-Koh jettent leurs tentacules rocailleuses sur un désert brûlant appelé Dacht Mord, le dessert de la mort ou Reg'istan, l'empire des sables . Puis, la platitude s'installe rompue de loin en loin par quelques hameaux en forme de termitière écroulée. Des troupeaux de dromadaires à longs poils paissent une maigre végétation discontinue dans le Dacht, composé de ronces, de pierres et de poussière.

Le temps s'écoule lentement. Mon voisin crache une chique verte dans l'allée centrale et la remplace par une autre sortie d'une petite boîte argentée. Il la coince entre la lèvre infèrieure et la gencive laissant découvrir une dentition plus que douteuse.

Coup de frein énergique, le chauffeur arrive devant une barrière qui entrave la route. D'une guérite, sort un militaire en uniforme usé et trop court. Un rapide coup d'oeil est jeté sur les papiers du chauffeur et la taxe d'entrée de la nouvelle province est encaissée.


Les autocars que l'on croise sont bondés. Sur le toit, des voyageurs sont debout, d'autres assis en tailleur. Ils circulent d'un niveau à un autre d'une façon dangereuse. Apparaissant à une porte, ils se hissent sur le toit par l'échelle, font un petit tour pour se dégourdir et regagnent leur place à l'intèrieur. De nombreuses races composent l'ensemble de ces hommes. En effet l'Afghanistan est un mélange de 75% d'Indo-européen tel les Pashtoums, les Tadjiks, les Nouristanis, les Hazaras. Pour le reste se sont des Turco-Mongols comme les Ousbecks, les Turkmènes et les Kirghizs parlant tous des langues différentes.

L'autocar s'arrête enfin devant un relais de Kandahar. Mon état s'améliore, les repas équilibrés et le riz y sont pour beaucoup. Cependant, il n'est plus question de passer la nuit dehors. Des molosses, des chacals, des chats sauvages et des loups errent dans toute la région. Nous dormons au relais.


   De nouveau le nez derrière la vitre, nous filons sur les cinq cents kilomètres de route qui nous conduisent à Kabul. Les maisons en torchis sont surmontées d'une coupole avec en leur milieu des capteurs de vent orientés nord-ouest pour rafraîchir l'intérieur. De temps en temps, nous croisons un Moutars, antiquité d'une mécanique incertaine. Des trésors d'ingéniosité maintiennent la machine bruyante en marche qui se disloque un peu plus à chaque voyage, prête à voler en éclats au passage d'une bosse. Aussi le Moutars est-il choyé. Orné des plus belles peintures, des calligrammes arabes chantent la gloire de dieu. Il est aussi décoré de motifs d'oiseaux ou de figures. Des guirlandes de lampes courent sur chaque arrête. Perchés sur les marchandises, des turbans blancs s'entrechoquent les uns contre les autres. De-là, s'élèvent des chants nasillards, des rires et des battements de mains. A l'arrière du camion, le valet de pied s'accroche et mange la poussière. Il n'y a pas de pièce de rechange en cas de panne. Tant pis, le chauffeur se débrouillera.

Sur la route, s'échelonnent des villages séparés par des distances évaluées en Sérails. Le sérail représente l'étape journalière d'un cavalier entre deux caravansérails. Il correspond à une distance de trente à cinquante kilomètres.



Une caravane de nomades longe la route sur l'ancienne piste au rythme des dromadaires et des ânes lourdement chargés de tentes, de toiles, de tapis et d'ustensiles domestiques. Les hommes ont fière allure. Le visage buriné, ils arborent une majestueuse moustache. La tunique agrémentée d'un petit gilet sombre est claire. Une cartouchière à la ceinture, le fusil est soigneusement rangé dans une housse de toile afin de le protéger du sable. Les femmes portent de longs cheveux encadrant un visage halé et de lourds bijoux en argent embellissent leurs poignets et leurs chevilles.

A cent quarante kilomètres de Kabul, le bus s'arrête dans un Tchaî-kané. Il ne fait pas plus de treize degrés. Nous sommes perchés à 2200 m dans la plus importante citadelle du pays, Ghazni. On s'installe sous la grande toile blanche, tendue au-dessus des tables en bois. Les ablutions terminées, les afghans passent à table. Le menu est un plat de riz graisseux où nage un morceau de mouton bouilli. C'est le palao (pilaf), un repas de riche car dans les villages le plat unique est du pain trempé dans une soupe de beurre rance. Le nom de dieu prononcé, la main droite est plongée dans le riz (jamais la gauche). Un pâté est modelé entre le pouce et l'index, le tout porté à la bouche et chaque convive mange sur le même côté du plat. A la fin, il subsiste des cloisons de riz que l'on pousse poliment du dos de la main vers ses compagnons qui les repoussent, puis on se les partage. De grands coups de klaxons viennent interrompre le thé. C'est le chauffeur qui rassemble les voyageurs éparpillés, pour reprendre la route.



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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:30

K A B U L


-26 AOUT 1968:

Kabul est située sur un plateau à 1800 m d'altitude. Des montagnes dentelées tracent un cirque aride autour de la capitale. Deux éperons rocheux avancent en pleine ville et la partagent en deux quartiers où s'agrippent d'innombrables maisons de torchis. L'eau courante n'existe pratiquement pas, tout comme l'électricité. La plupart des rues ne sont pas goudronnées et la poussière est présente partout. Les bus de ville blancs et rouges y côtoient les nombreuses tongas, les vélos sans âge aux sonnettes cristallines, les karachis charrettes à bras tirées par des Hazârâs, voir des moutons, des ânes bâtés et des chameaux.

Croisant un premier Kaboulis je lui demande.

-Parlez-vous anglais? Il me répond alors d'un magnifique <<yes>>.

-Nous recherchons le Nour Hôtel, vous connaissez?

Pas de réponse, notre homme reste empétré et grommelle quelques mots. A première vue, il n'a rien compris et le seul mot qu'il connaisse en anglais est bien <<yes.>> .

Après plusieurs échecs, nous le découvrons tout de même à l'angle d'une rue. Derrière le porche, un grand jardin végétal agrémente le centre de la demeure. Le manager se tient dans une guérite dressée à l'entrée de cet modeste olympe. Nous réglons la première nuit. Du doigt, une des pièces au fond du jardin nous est indiquée. Deux lits de corde et des nattes occupent la chambre aux murs blancs. C'est le minimum, il n'y a pas d'armoire. La clientèle du lieu est identique à celle du Gülhane. La plupart des routards portent le chalouar (pantalon bouffant) avec une chemise indienne, un gilet karakul brodé et des sandalettes.

Les sacs flanqués contre un mur, nous sortons découvrir la ville quand au détour du kiosque, j'aperçois deux barbus me regarder avec stupéfaction.

-Rudy! Gilbert!>>, ce sont bien eux.

J'ai de la peine à retenir ma joie en portant l'accolade. C'est fantastique! Je retrouve mes amis six mille kilomètres après notre dernière séparation. C'est alors que Rudy fait signe à une fille d'approcher.

-Dominique, quelle surprise!>> Je n'en crois pas mes yeux.

Dominique est une amie de Rudy et Gilbert. Je l'ai connue début juin à Montargis alors qu'elle s'apprétait à partir pour les Indes avec Gérard. A aucun moment, je n'ai pensé la revoir. Je lui demande bien vite des nouvelles de son ami.

- Oh! Tu sais, le pauvre est hospitalisé depuis huit jours pour une sale dysenterie. Si tu veux, nous irons le voir demain? Il sera heureux de te revoir.

Mes deux compères l'ont rencontré à l'hôtel les jours précédents. Ce fut également pour eux un grand moment de la retrouver en Afghanistan. Elle loge à l'Hélal hôtel. Gérard étant à l'hôpital, elle vient tuer du temps ici. Toutes ces retrouvailles m'apportent du réconfort.

Le soir, comme sous la tente à Istanbul, des groupes se forment autour d'un joint. Bercés par le son d'une guitare et la complainte d'un anglais, la soirée se termine tard.

Il est temps de me rendre à la poste centrale car j'ai toujours plaisir à recevoir des nouvelles. Déception, il n'y a rien, pas même une lettre de mon oncle qui m'écrit pourtant régulièrement.

Au retour, sur le pont Poul-e Khechti de la rivière Kabul, un gosse fait la manche assis par terre. Il tend aux passants ses deux moignons de bras. C'est un enfant mutilé à la naissance et voué à subvenir aux besoins de la famille. Certains subissent d'autres supplices comme le bandage des jambes infèrieures afin de les atrophier. Se déplaçant à la force des bras, ils se traînent toute leur vie dans la poussière des trottoirs.

Sous le pont, des enfants chahutent dans une eau opaque. Un peu plus bas, une famille de nomades nettoie des peaux qui seront séchées sur la rambarde du pont, dégageant une odeur insoutenable. A leur côté, un pastéquier rince les fruits et les légumes qu'il vend depuis un étal sur la rive ombragée. Des Afghans de passage s'adonnent à des ablutions de bouche. Accroupis sur des pierres dans le lit de la rivière, ils agitent un doigt qui remplace la brosse à dent. A longueur de journée, des porteurs d'eau puisent cet élixir transporté dans une outre en peau de bouc et la vendent dans les bas quartiers.

Depuis cet endroit et dominant le bazar, on aperçoit le Bâlâ Hissar (le fort du haut). Il s'agit de la forteresse construite sur l'emplacement de l'antique Kabul.


Dans l'après-midi, Dominique est venue me chercher avec Rudy et Gilbert pour rendre visite à Gérard. L'hôpital Français construit à l'autre bout de la ville nous oblige à prendre le bus. Dominique nous conduit dans une immense salle commune de plus de quatre-vingts lits en fer où malades et opérés sont mélangés. Gérard est bien étonné de me voir là, mais je le trouve très mal en point. Il n'a vraiment plus que la peau sur les os. Un frisson glacé me traverse le dos. Il ne tient pas debout et se plaint du manque de soin, du râle et des cris des malades. Le temps passé dans cette salle lui sape complètement le moral et les journées lui sont interminables. Il supplie Dominique de le tirer de ce mouroir.

 

Un matin, lors de mon réveil, je trouve des morceaux de plâtre tombés sur ma natte et sur le sol. Apparemment, ils proviennent du plafond, je me lève et cours au renseignement dans la chambre commune de Rudy.

-Cette nuit, il y a eu un tremblement de terre et mon lit a bougé>>, me dit-il.

Je devais bien dormir car je ne me suis aperçu de rien. L'épicentre situé dans le Dacht en Iran est à douze cents kilomètres de Kabul. Le séisme est sûrement important.


Nous sommes début septembre, Gérard est sorti de son enfer et sans plus attendre, il part avec Dominique pour le Pakistan. Aujourd'hui, j'ai reçu du courrier. Ma soeur Régine m'écrit qu'il est trop risqué de m'envoyer de l'argent dans une enveloppe comme je lui avais recommandé. Maman serait d'accord pour que je poursuive mon voyage à la condition que je sois rentré pour son mariage le vingt-huit décembre. << Je ne me marierai qu'une fois et il serait dommage que tu ne sois pas là, >> me dit-elle.

Je dois rentrer pour fin décembre. Je me demande si quelqu'un se rend compte de ce que je vis et où je suis. Je perçois un énorme décalage entre les préoccupations de la famille et moi. Ce voyage est aussi inattendu qu'inimaginable et la situation leur échappe un peu, malgré tout, je leur pardonne bien volontiers.

A l'hôtel, je reconnais des têtes déjà entrevues au gülhane comme cette fille toujours seule, vétue d'un jean et d'une veste de velours noire. Eddo fait la connaissance d'un compatriote qui revient des Indes imprégné de la philosophie Gourou. Depuis, il ne quitte plus d'une semelle ce quidam à la longue barbe, habillé tout de blanc.

 

Arrive à son tour le départ de Rudy et Gilbert pour le Pakistan. La séparation est aussi difficile qu'à Istanbul et je me retrouve de nouveau seul passant désormais mon temps à flâner au bazar et à parcourir les rues de Kabul. Dans le jardin du Nour, j'ai remarqué deux jeunes Françaises très mignonnes vétues à la Pakistanaise. Elles se reposent souvent sous la tonnelle grignotant des confiseries achetées dans la petite boutique en face de l'hôtel. Elles raffolent d'une sorte de petit pain au lait avec un mince filet de confiture à l'intérieur. De temps en temps, je succombe également à cette gourmandise et je me retrouve chez l'épicier devant son petit étal de friandises sous vitres. Ce que je préfère c'est la confiture de cerises dans le pot de verre perché en haut d'une étagère mais ce péché reste tout de même exceptionnel.

La nourriture en Afghanistan n'est pas très diversifiée. Les brochettes et le kebab (sorte de steak haché fortement pimenté et cuit dans de la graisse de chameau) sont trop forts pour moi et le pilaf trop graisseux. Quelques fois je me rends au pont Poul-e Khechti de la rivière Kabul où sont installés sur le trottoir des vendeurs de tripes à la sauvette. Cuites dans une gamelle et gardées à température sur un petit réchaud à carbure, les boyaux sont servis dans une boîte de conserve. J'en raffole. Cependant, ce repas peu coùteux ne me paraït pas des plus sains. Je me rabats alors dans une Milkana, masure tout en bois noirci par la lampe à huile. Sous un plafond extrêmement bas, on me sert un bol de lait chaud sucré ou un fromage blanc. Une fois seulement, je me suis laissé tenter par l'unique self-service de Kabul qui est bien connu de tous les Européens et Américains travaillant en Afghanistan. La cuisine est Française et très appréciée, surtout après une longue privation, mais l'addition m'oblige à tenir mes distances.

 


Bazar de Kabul


Le bâzâr est un des plus réputés d'Afghanistan. Il est alimenté par les nomades et les petits artisans. Toutes les races du pays s'y côtoient et effectuent le plus gros commerce légal ou non de toute la région. Dans les ruelles étroites protégées du soleil par des toitures de nattes, des odeurs d'épices, de kebabs ou de peau se mêlent entre elle. Les échoppes sont de véritables cavernes d'Ali-baba. Il faut voir les tapis Turkmènes, les turbans de soie rose. Sous l'oeil des marchands, passent des jeunes nomades à la démarche arrogante, les yeux faits et la moustache en trait de plume. Ils sont superbes avec une boucle d'oreille, un turban en crête de coq, un gilet flamboyant de broderies d'or et un pistolet à crosse nacrée. Dommage que derrière eux traînent des relents de beurre rance et de sueur. Les tadjiks et les hommes de la ville portent une toque en astrakan (fourrure des agneaux de brebis karakul, tués à la naissance).

 



Dans les ateliers ouverts entièrement sur la ruelle, l'habilité des artisans est réellement exceptionnelle, mélanges de patience, d'esprit inventif et de débrouillardises avec les moyens du bord. Faute de pièces détachées pour une voiture, un forgeron est capable de reconstituer un arbre à cames, un cardan ou une boite de vitesse.

 






Le boulanger pétrit sa pâte. Une boule grosse comme une orange est formée et balancée d'une paume de main à l'autre afin d'en faire une galette. Assis en tailleur, il se penche et enfonce son bras à l'intérieur du tandour (four en terre laissant apparaître seulement un trou au niveau du sol) pour plaquer les galettes sur sa paroi. Le pain cuit est ensuite exposé en tuile sur un tréteau pour être vendu.


Des grappes d'enfants me suivent en me narguant.

-Hélo ! Mister Djïg Djïg, Lâzem.>> (va te faire baiser)



Un riche marchant m'interpelle pour changer des dollars et m'invite à le suivre à l'étage de sa boutique. Retirant l'élastique d'une énorme liasse de billets prise parmi d'autres sur son bureau, il me donne un paquet d'afghanis à l'aspect proche du lambeau contre un beau billet vert.


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:20


Les femmes sont des ombres. On ne distingue rien de leur personne. Un immense voile les enveloppe de la tête aux pieds. En s'approchant plus près, on remarque au niveau des yeux une sorte de petite grille en tissu brodé qui permet de voir sans être vu. Ce voile est travaillé. En effet, une multitude de petits plis lui donne une certaine aisance.


Une tentative faite par le roi il y a quelques années pour supprimer le voile ou tchador s'est soldée par une émeute. Le mâle Afghan, ce jaloux total est aussi assuré d'être le seul à jouir de la vue de sa compagne. Il est parfaitement satisfait de son bien car il ne dispose d'aucun point de comparaison.

 

Dix jours se sont déjà écoulés depuis mon arrivée. Kabul est une ville qui m'étonne beaucoup. Je décide de prolonger mon séjour. A la poste, une lettre de maman m'est parvenue. Elle me dit qu'on parle beaucoup du tremblement de terre à la télé, il y aurait eu plus de cinq mille morts en Iran ! Dans l'école où elle travaille à l'entretien, elle repère sur les cartes de géographie les diffèrents pays que je traverse. Rose, qui a douze ans, rêve de moi rentrant d'Afrique. Par contre une mauvaise nouvelle, le Jules de Fontenouille est tombé d'une meule de foin et s'est brisé la colonne vertébrale paralysant le brave homme des deux jambes.

Deux jours plus tard, c'est une lettre de mon oncle que je reçois. Elle me fait bien plaisir, je la relis plusieurs fois.

Bondy le 4.9.68

                          Mon cher Régis,

 

Extrait: << Régis, il faut profiter de la chance rencontrée au moment où tu l'attends le moins. C'est certainement le plus beau voyage que tu auras fait dans ta vie que peu de jeunes gens ont le courage d'affronter les imprévus d'un voyage comme celui-ci. Nous te disons bravo, Régis>>
Emu, je réalise la distance qui me sépare des miens. Je ressens comme un vertige.

Dans la rue de Nour, j'entends parfois des éclats de rire. Ils viennent d'un groupe de fillettes qui rentre de l'école coranique. Toutes vétues d'une blouse et de chaussures noires, col blanc et socquettes de mêmes couleurs, elles traversent la rue des commerces de peaux. Dans ce quartier des dizaines et des dizaines d'échoppes serrées les unes contre les autres exposent les plus belles moumoutes brodées d'orient. Elles sont très prisées des étrangers. D'ailleurs, les commerçants le savent bien puisqu'ils se font un honneur d'afficher les photos de vedettes internationales accueillies dans leur boutique.



 

 




Aujourd'hui, je vais acheter mon visa pour l'Inde. Le consulat se trouve dans le quartier administratif et universitaire. Contre trois cents soixante-quinze afghanis, j'obtiens un laisser-passer pour un période de trois mois.

 

 

 

 

 

 


 

Kabul


En ce moment, il y a la grande exposition internationale à Kabul. Avec quelques français du Nour nous décidons d'y faire un tour. Chaque pays présente son pavillon qui tranche impudemment avec la réalité du terrain. Passant devant celui de la France nous sommes bien entendu tentés de pénétrer à l'intèrieur mais notre look ne convient pas à nos deux compatriotes qui gardent l'entrée et nous sommes rejetés comme des malpropres.

 



Sur le chemin de retour un petit fonctionnaire, agent de ville de quartier à l'uniforme rapiècé, se fait un honneur de nous montrer le chemin de la fumerie voisine. Bien qu'elle soit à deux pas, notre guide nous accompagne pour recevoir sa substantielle commission. C'est au fond d'un corridor que nous découvrons une pièce aux murs de torchis et au sol en terre battue. Il faut baisser la tête pour pénétrer à l'intèrieur. Aucune fenêtre n'éclaire l'endroit, seule une maigre lampe à huile découvre à peine quatre silhouettes assises sur de grosses pierres servant de banc. Invités à nous asseoir à leurs côtés, nous observons un petit moment le précepte du lieu. Se levant à tour de rôle, les afghans tirent de grosses bouffées à l'énorme pipe calée au milieu de la carrée. Le vieux maître des lieux s'avance alors à son tour et recharge le foyer avec quelques morceaux de "shit " payés quelques afghanis par l'un d'entre nous. Debout sur un petit banc pour atteindre le bec, il aspire trois énormes inhalations qui font rougir la braise. Du coup, les visages s'éclairent un peu plus et l'épaisse fumée rejetée rejoint celle qui stagne déjà au-dessus de nos têtes.

D'un geste de la main, le promontoire est désigné. Un volontaire se décide, s'agrippe au manche et en extrait une majestueuse tafe qui a pour effet de lui brûler la poitrine. Emporté par une quinte de toux à s'arracher les poumons, il rejoint sa place en se pliant en deux sous le regard amusé des Afghans. Le deuxième ne fait pas mieux et au retour s'écroule sur sa pierre. C'est à mon tour et il est trop tard pour faire marche arrière. Je joue la prudence et n'avale que de très petites bouffées qui m'extirpent quand même une toux interminable. Pendant ce temps, les Afghans s'époumonent sur la bête chacun leur tour et nous invitent à recommencer. Nous baignons dans un nuage opaque, mes yeux me piquent et ma gorge me brûle, j'ai une soif d'enfer. Le foyer est bientôt épuisé, j'ai hâte de rentrer au Nour pour boire un coup. Dehors la nuit est tombée depuis un bon moment. Nous saluons la pièce et rentrons d'un pas léger au travers des rues désertes et obscures de Kabul.



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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:10


 

K H Y B E R - P A S S


-12 septembre 1968:

 

Je me suis procuré un billet d'autocar pour Peshawar car c'est décidé, je pars demain matin pour le Pakistan. Le bus est prévu à 8h00. Il ne faut surtout pas le manquer.

         C'est avec peine que je vais quitter Eddo qui fut mon compagnon de route pendant plus de cinq mille kilomètres. Pourtant, je ne sens pas l'opportunité de le lui annoncer. Depuis notre arrivée au Nour, il y a quinze jours, il n'a pas quitté d'une semelle son mage blanc.
          Sans réveil, j'arrive à me pointer à l'heure prévue, Trois européens, une fille et deux garçons, attendent déjà en face du bureau de la compagnie. Après les salutations d'usage, je découvre un couple de français avec un ami de fortune. Notre bus est en retard. Nous patientons sur le trottoir en picorant des grains de raisin.

Enfin le voilà! Il paraït d'un meilleur confort que ceux que j'ai emprunté jusqu'à maintenant. Nous prenons place à l'intèrieur et faisons plus ample connaissance. Il y a Hubert, un blond aux cheveux long. Il est plus grand que moi et sa trentaine laisse apparaître un crâne dégarni sur le milieu. Son amie Elisabeth, plus jeune que lui, est une petite femme d'un mètre soixante. Elle porte dans le dos une longue tresse noire qui lui descend au niveau des reins. Michel, un mètre soixante-dix-huit environ, est brun avec une chevelure très longue et ondulante.

Non loin de Kabul, à la hauteur du village de Sardi, la route surplombe un immense lac d'un bleu profond qui contraste avec l'ocre dénudé des montagnes environnantes. Notre chemin suit la rivière Kabul pour entrer dans les gorges étroites Tang-e Ghâro, puis c'est la dégringolade à flanc de montagne vers la plaine de Djalâlâbâd.

 



Djalâlâbâd est située à cinq cent soixante-dix mètres d'altitude dans les plaines basses déjà touchées par la mousson indienne qui procure un climat d'été très chaud et humide. La végétation luxuriante devient subtropicale, ce que l'on ne voit nul par ailleurs en Afghanistan. Les champs de canne à sucre remplacent ceux de blé des autres régions. Les grenadiers, les orangers et les palmiers composent un paysage étonnant pour l'Afghanistan.

Continuant en direction de la frontière, nous abordons une des passes les plus grandioses du monde, celle de Khyber. C'est une gorge de mille mètres de profondeur extrêmement étroite où, sur un kilomètre, il est impossible de se croiser. Ce véritable couloir fut de tout temps un point stratégique de l'histoire.

 




Depuis Djalâlâbâd, la route suit la piste des caravanes jusqu'à la rencontre de deux flèches dont l'une désigne le chemin à prendre pour les voitures et camions, l'autre la piste pour les caravanes. Cette dernière permet d'éviter la douane en empruntant le creux de petites vallées encaissées parsemées de barrières antichars.

 



Parfois, nous croisons des groupes d'hommes à pieds. Ils sont armés jusqu'aux dents, ce sont des pathans des zones tribales. Au poste frontière de Torkham, un douanier récupère tous les papiers des voyageurs et les emmène dans les locaux administratifs. A son retour, je découvre sur mon passeport un cachet N°43 du 12 septembre 1968. N'ayant plus les repères classiques d'une vie sédentaire, cette date me recolle au calendrier.

Le bus s'ébranle de nouveau et nous amorçons maintenant une longue descente en lacets s'ouvrant sur la vaste plaine verdoyante de Peshawar. La Province Frontière du Nord-Ouest est surtout peuplée de pathans, de grands hommes enturbanés qui comme leurs frères afghans parlent la même langue, le pasthou. Divisés en plusieurs tribus, plusieurs clans et familles, ils se querellent depuis toujours. La revanche tribale s'appelle babel. Elle a décimé au cours du temps un grand nombre d'entre eux. Tous motifs sont bons pour appuyer sur la gâchette: une parcelle de terre caillouteuse, une femme ou tout simplement une remarque déplacée.

En fait, quiconque offense un pathan est passible de la peine de mort! Les enfants ne vont pas à l'école car l'instruction fabrique des lâches et, de plus, ils risquent de se faire enlever. Il y en aurait un par jour en moyenne, surtout dans la Tribal Aréa (bande de territoire le long de la frontière afghane où le gouvernement central n'exerce pas de compétence administrative directe). Aussi, les automobilistes prennent-ils leurs précautions pour franchir certains endroits délicats. Ils se regroupent. Juste avant d'arriver à Kohat en direction de Bannou, la route déserte se perd dans un ancien lit de rivière. Le sable mou oblige les voitures à ralentir. Auprès de cette embuscade naturelle, les ravisseurs rôdent. Dès qu'ils capturent quelqu'un, ils s'enfuient dans les montagnes toutes proches et se cachent dans des cavernes en attendant les liasses de roupies. Leurs proies préférées sont les fonctionnaires en déplacement et les riches des environs. Quand les victimes rentables se font rares, ils les enlèvent au besoin dans le bazar de Peshawar.

Nous traversons Landi kotal, Jamrud Fort et en début d'après-midi le bus nous dépose au coeur de Peshawar. Une chaleur accablante nous y attend, accompagnée d'une moiteur jamais encore ressentie. Le ciel est bleu mais la mousson vient de se terminer et l'air est saturé d'humidité. Mes vêtements me collent à la peau.



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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 08:00

  

Nous sommes dans la vieille ville, au Khiler Bazar, un quartier très animé d'où partent les bus pour toutes les destinations. La gare routière est entourée d'une multitude de cafés que l'on appelle ici hôtels et de petits étals qui vendent quantités de beignets. Un trafic important anime les rues. Les taxis y participent pour plus de la moitié. Très diversifiés, ils sont représentés par des voitures, des rickshaws (scooter à trois roues), tongas conduits par des chevaux pomponnés cachant une maigreur chronique. Le reste est composé d'autobus, de camions, de chariots et de beaucoup de monde se déplaçant à pied.

 

Nous descendons tous les quatre dans un petit hôtel situé en face de la compagnie d'autocars dont les engins hors du temps craquent sous le poids des bagages. D'un commun accord, nous décidons de rester ici une paire de jours. Le confort nous suffit et les pièces sont bien ensoleillées. D'ailleurs, un caméléon toujours à l'affût d'une mouche a élu domicile sur le mur de la salle de bains.

Hubert et Elisabeth ont l'air d'avoir suffisamment d'argent pour vivre avec un minimum de confort. Michel y arrive tant bien que mal. Pour ma part, je dois faire attention, je n'ai plus qu'un billet de 20$ (15 ?). Je décide de n'utiliser que les quelques roupies que j'ai pu obtenir en changeant le reste de mes afghanis. Pour ne pas avoir l'impression de rester à la solde de mes nouveaux amis, je préfère m'éloigner de temps en temps et j'en profite pour visiter seul la ville.

 



 

 

Naguère, Peshawar a vu passer les longues caravanes de la route de la soie et tous les conquérants de l'Inde. Elle a été meurtrie, ensanglantée, ravagée par des hordes venues d'Asie centrale. Elle a été envahie par les Ghaznévides, les Moghols et les Sikhs. A l'époque, l'empereur Babour fit fortifier une butte. Plus tard, les Sikhs la transformèrent en un solide fort. Il existe encore des nomades loqueteux qui campent à ses pieds. La ville compte trois cent mille habitants, surtout des pathans. C'est la capitale de la Province Frontière du Nord-Ouest. Grand centre de commerce, elle n'a jamais perdu ses habitudes. Partout on répare, on fabrique, on vend. Du côté du marché aux volailles, des cages en bois tapissent les rues. Le poulet est acheté vivant et le vendeur l'égorge derrière l'échoppe. Dans les pâtisseries, les abeilles butinent les semoules sucrées enrobées de papier d'argent. Les marchands de pièces détachées font venir leurs marchandises en contrebande d'Afghanistan. Les dromadaires en longues files les transportent. On dit que les passeurs les lachent à proximité de la frontière d'en face. Le gouvernement, au courant de la situation, tolère ce commerce illicite: C'est même ce dernier qui a fait placer dans le col de Khyber la flèche indiquant le chemin que les caravanes doivent emprunter.

 

 

 

  Derrière le fort, se trouve le bazar Quissa Khawassi (bazar des conteurs). Autrefois les caravaniers et les militaires y faisaient halte: les uns déchargeant les sacs de coton, d'armes et de denrées; les autres abreuvant leurs chevaux. Puis, ils s'asseyaient en cercle et se racontaient des histoires d'aventures et de guerre avant de s'endormir auprès de leurs animaux. Dès que le soleil éclairait, ils reprenaient la route, la mémoire pleine de nouvelles et d'épopées. Aujourd'hui, les montagnards descendent des vallées de l'Hindou Kuch. Les nomades, en provenance du Baloutchistan ou de l'Afghanistan et tous les marchands et guerriers des environs se rencontrent toujours à Quissa Khawassi. Ils parlent de Dieu, des fusils et de la soupe. Les tchaïkana ont remplacé les caravansérails. La nuit, les hommes s'endorment côte à côte sur des lits de corde, les toits plats ouverts sur les étoiles servent de chambres d'hôtel.

Devant l'entrée principale de la Lady Reading Hospitol, une ruelle sombre et exigüe mène à la ville intérieure. Des bijoutiers spécialisés dans le travail de l'or et d'autres dans celui de l'argent bordent cet étroit passage. Dans de petites vitrines montées sur tréteaux, sont exposés les plus beaux bijoux. Dans une autre ruelle, ce sont les vendeurs d'épices où l'odeur sortie des sacs de poudre rouge, verte ou jaune vous enivre. Une petite balance à fléau permet de peser la manne précieuse. Certains quartiers du bazar sont consacrés uniquement à la restauration, paradis du kebab et de la brochette. D'ailleurs, la spécialité de Peshawar est le chappli kebab, mélange de viande épicée, de tomates et d'œufs servis sur un naan, une sorte de grande galette qui sert d'assiette. Il y a aussi ce lait cuit que j'affectionne particulièrement. Il n'est pas épicé, ce qui me convient parfaitement. Le lait est cuit dans un énorme chaudron posé sur un feu de braise. A l'aide d'une louche géante, le liquide est laissé retombé maintes et maintes fois en un filet à un mètre au-dessus du récipient et servi dans un grand bol. Alors que je passe devant un gourbi de restaurant, un homme m'interpelle. C'est le patron qui rabat le client. Il m'invite à m'asseoir à une table de bois sous une grande toile au toit pentu. A l'arrière, envahi par une fumée épaisse, une cuisine laisse apparaître des montagnes d'oignons. Je décline bien entendu l'invitation car je ne veux pas dépenser d'argent et je n'apprécie pas la cuisine forte. Il me tire alors par la manche et m'entraîne à l'intérieur jusqu'à un friend (un pays) comme il dit. Le type est un anglais qui, pour faire un peu d'argent, épluche à longueur de journée les oignons. Je le salue d'une façon obligée. Le patron me tape alors sur l'épaule d'une façon de me dire.

-Top là gamin! tu peux t'installer et manger en confiance.

Embarrassé, je m'excuse de nouveau. L'homme me retient encore mais abandonne devant mon obstination.

Dans les rues, les femmes se cachent sous la bourqua, un double voile noir qui ne leur montre le monde qu'à travers un écran. Dans les tchaïkana le temps s'écoule au rythme solennel du narguilé qui passe de bouche en bouche en exhalant une autre odeur que celle du tabac.

Il fait très chaud. J'ai souvent soif ce qui est une chose rare chez moi. L'eau n'est pas buvable à moins de la faire bouillir. Alors de temps en temps, avec mes compagnons, je bois un Fanta orange ou un Pepsi-Cola acheté à un buffet ambulant. Je découvre pratiquement ces boissons ici. Y prenant rapidement goût, je sens qu'elles me nourrissent. Il y a aussi le thé au lait que je bois juste devant l'hôtel. Ici, le thé est servi noir ou vert kawa et également avec du lait, reste de l'influence anglaise. Le lait et le thé sont cuits ensemble à feu doux pendant des heures dans une théière ce qui lui donne une épaisseur nourrissante. Le jus de mangue, de canne à sucre et de grenade est également très apprécié des pakistanais mais la qualité de l'eau que le jus contient est incertaine.

 


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:50


Au bout de deux jours, nous quittons Peshawar pour Rawalpindi au Panjab. Je prends le train pour la première fois depuis mon départ. Une activité intense règne dans la gare de la Panjab Northern State Railway. D'énormes locomotives à vapeur crachent leurs gros panaches de fumée. L'odeur d'huile chaude me rappelle des voyages à Paris effectués avec ma mère lorsque j'avais neuf ans. Ce sont les anglais qui construisirent la voie ferrée qui mène aux Indes. Le billet est bon marché, deux à trois centimes du kilomètre. Le paysage est splendide, ce qui rend le voyage agréable. Cependant la désinvolture de pakistanais bien gras me révolte. Tout en égrénant un chapelet, ils se pavanent allongés sur une banquette, alors que la plupart des pauvres gens s'entassent debout dans le couloir. Par la fenêtre, défilent les champs, les rizières, les villages et des mares d'eaux boueuses où se vautrent de gros buffles . Je ne vois pas le temps passé et les deux cents kilomètres sont rapidement effectués.


Rawalpindi est une grande ville de six cent cinquante mille âmes. Les habitants l'appelle Pindi . Bondée de casernes depuis des siècles, elle est l'empreinte coloniale britannique et présente en fait peu d'attrait. Il y a sept ans, à quinze kilomètres de la ville, est née une nouvelle capitale pour remplacer Karachi. C'est Islamabad, située sur le plateau du Potohar aux pieds des collines de Margalla.


L'hôtel trouvé est d'un confort honorable. C'est Hubert et Elisabeth qui me le payent. En attendant, je vais devoir faire la manche pour me nourrir. Pendant les quatre jours de notre séjour et après les grosses chaleurs de l'après-midi, je vais inlassablement parcourir les rues du quartier universitaire à la quête de quelques roupies. Aussi, je rencontre des étudiants qui ressemblent étrangement aux gros porcs qui se prélassaient dans le train. Je suis plutôt évité et sujet à moqueries, j'aurai pourtant aimé pouvoir payer ma chambre.

Un soir, alors que je rentre pratiquement bredouille de la manche, Hubert me demande si je serai d'accord pour faire marche arrière. Ensemble nous partirions pour Chitral dans le nord de la Province Frontière du Nord-Ouest. Michel donne aussitôt son accord. Pour ce qui me concerne, je demande à réfléchir. Hubert s'empresse de me rassurer et tient compte que je n'ai pas d'argent. Je comprends alors qu'en cas de besoin, il pourrait me donner un coup de main.


Chitral se trouve dans une vallée très reculée de l'Himalaya. Le couple a besoin de se sécuriser et tous les deux sont prêts à nous entraîner dans cette expédition.

  Nous reprenons de nouveau le train pour retourner sur nos pas. Je suis enthousiasmé à l'idée de l'aventure qui nous attend. A quatre-vingts kilomètres de Peshawar nous descendons à Nowshera d'où part notre route pour le toit du monde. Sur le quai de la gare, mon attention est attirée sur un jeune homme habillé à l'indienne comme dans les livres des histoires de l'Inde. Vétu d'un chalouar rouge (pantalon bouffant), il est enturbané comme un maharaja avec une grande plume de paon planté sur le devant. C'est un serveur du buffet.

Le voyage nous a creusé l'estomac. Au restaurant de la gare, nous commandons des fries eggs (oeufs sur le plat). Installés autour d'une table ronde, la conversation axée sur notre projet va bon train. La salle à manger commence à se remplir petit à petit. Personne ne prête attention aux cinq ou six étudiants qui viennent de s'asseoir à la table voisine, mais bientôt, des rires moqueurs et des brêves de conversation en anglais nous sont destinés. Peut-être veulent-ils nous épater, mais la légèreté de leurs propos tient de la provocation. Hubert et Michel n'y tiennent plus et leur répliquent en les traitant de bigs pigs (gros porcs). Pendant toute la durée du repas, ils ne cessent de nous narguer puis décident enfin de partir, heureux de nous avoir emmerdé. Le calme revenu, un thé vert est commandé et la discussion reprend sur la suite du voyage, quand tout à coup quelqu'un s'écrie.

- Police! Papers please.

Trois policiers nous font sursauter. Nous nous exécutons un peu surpris par leur subite apparition.

- Your luggage please>>, lance l'un d'entre eux.

Ils sont déposés par terre à l'entrée de la salle. Un policier nous fait signe de le suivre jusque-là. Commence alors une fouille en règle au lieu et à la vue de tout le monde. Les sacs d'Hubert et d'Elisabeth sont les premiers débarrassés de leur contenu jeté pêle-mêle sur le sol. Soudain, à ma grande stupéfaction, un policier sort d'un torchon une plaque de haschisch d'un demi-kilo. Je n'en crois pas mes yeux, ces gros porcs nous on fait ce sale coup.

- <<A qui est ce sac?>>, demande-t-il, toujours en anglais.

- <<A moi>>, répond Hubert le visage décomposé.

La fouille continue alors de plus belle dans les autres sacs. Je n'arrive pas à réaliser ce qui nous arrive. La supercherie est démesurée par rapport à notre incident. L'affaire est extrêmement sérieuse, Hubert encourt la peine de mort, c'est effroyable. Chacun comprend la gravité du moment et personne ne parle. Elisabeth est blanche comme un linge. Deux policiers prennent nos passeports avec la plaque de H et les emportent au bureau de police du quartier. Pendant ce temps, un gardien nous surveille de très près. L'attente est longue et insoutenable. Le silence est total. Que va-t-il se passer maintenant? Hubert peut terminer sa vie en prison ou avoir la tête tranchée, quelle horreur!


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:40


   Au bout d'une bonne demi-heure, les policiers reviennent. Ils tiennent les passeports et la plaque de haschisch à la main. Commence alors un interrogatoire au milieu de la foule de badauds venue aux renseignements. Ils sont intéressés par nos intentions de voyage. Hubert s'explique sur nos projets de visite du district de Chitral dans la Province Frontière du Nord-Ouest. L'un d'entre eux entame une longue discussion avec ses collègues. Réflexion faite et à notre grande surprise, ils jugent sur le tas de nous laisser notre liberté. Toutes les zones ouest du Pakistan sont sous l'influence tribale avec ses propres lois. Elles ne condamnent pas la production et la consommation de cannabis. Nos policiers n'ont alors rien vu et rien entendu, la plaque de H est même redonnée à Hubert! Les badauds sont chassés et nos passeports nous sont rendus avec un conseil d'extrême prudence à la traversée des zones autonomes.
       Nous sommes bien entendus tous sur le cul. Ce n'est pas possible, il y a cinq minutes nous vivions un véritable cauchemar et maintenant c'est la grande liberté!

 

       La gare routière est toute proche. En chemin, Hubert nous avoue être le propriétaire de la plaque de H et avoir vraiment eu la peur de sa vie. Il avait bien caché son jeu. Tout de même, ces connards d'étudiants ont bien failli nous mettre dans un sale pétrin!

 Un apperçu du trajet Peshawar-Chitral en 1990 (22ans plus tard: http://www.youtube.com/watch?v=EFC2rN8rSqo

 

        Un vieux Bedford nous attend. Je me hâte de grimper à l'intérieur pour aller reprendre mes esprits sur la banquette arrière. L'engin s'ébranle. Nous traversons la plaine de Peshawar en prenant la direction de Dargai situé à quatre-vingts kilomètres sur les premiers contreforts de l'Hindou Kush (la montagne qui tue les hindous). La frontière provinciale n'est pas très loin après Mardan. Au poste, la police militaire contrôle les papiers de notre chauffeur tandis qu'un oeil est jeté rapidement dans le bus. Discrètement, Hubert planque sa plaque de H sous sa ceinture au cas où. Tout va bien, pas de fouille. Seul les passeports sont vérifiés.

 

En fond d'horizon surgit l'immense écran que forme le toit du monde. Bientôt, les premiers virages sont là. Lentement, nous prenons de l'altitude. J'entends le moteur changer de régime, troisième, deuxième, troisième... Les fenêtres tremblent, le pot d'échappement crache noir et la vitesse de vingt kilomètres heures est atteinte péniblement. A droite, tout en bas, la plaine s'étale et disparaît sous la moiteur qui monte des champs de canne à sucre. Après maintes et maintes montées et descentes, l'autobus s'immobilise.

Encaissé entre plusieurs vallées, le village de Dargai nous accueille. Des habitations en bois et en torchis bordent les rues de terre battue. Il n'y a pratiquement pas de voiture, seuls quelques mini-camions se partagent la circulation.

La peau ridée des montagnards dévoile un visage beaucoup plus vieux qu'il n'y paraît. Tous portent sur la tête le célèbre pakol, béret de laine de chèvre au bord roulé à l'extérieur. Leur visage est agrémenté d'une grande barbe noire, blanchissante avec l'àge. Vétus d'un chalouar, d'une chemise ample fendue sur le côté, d'une veste sans manche en karakul brodé, ils vont et viennent traînant leurs fameuses sandales taillées dans de vieux pneus. Les pieds aux escarres purulents y nourrissent une quantité de mouches.

Dans la rue principale, un notable un peu rondouillard nous accoste. S'adressant en anglais, il se dit être le maître de la fortification qui se dresse en face de nous. Il serait très honoré de nous recevoir et de nous héberger pour la nuit. L'invitation est évidemment tentante mais Elisabeth prudente n'y tient pas et nous laissons tomber.

Une grande colline domine le bazar, la vue y est sûrement magnifique. Il est décidé que demain matin nous en ferons l'ascension. En attendant, nous devons trouver un endroit pour dormir. A la descente de l'autocar, j'ai remarqué un petit bonhomme à la langue bien pendu. Il était venu accueillir les voyageurs pour leur proposer un lit dans son sérail. A l'approche de sa demeure, il s'empresse de sortir dans la rue et nous crie.

- Hep ! My dear, Hep ! My dear (mon cher), venez chez moi ! Venez chez moi, vous y dormirez bien.

Nous entraînant dans sa masure, il soulève un immense rideau séparant quelques tables de l'unique chambrée. Sur des charpo´s (lits de corde) alignés à même le sol, des visages rougis par la lueur d'une lampe à huile surgissent de la pénombre. Ce sont pour la plupart des colporteurs ou des petits fonctionnaires. La nuit tombe très tôt ici. Les rues ne sont pas éclairées. Il est d'habitude de se coucher de bonne heure pour se lever avec la lumière. Tout ce petit monde reprendra très tôt la route pour des villages perdus au bout de chemins escarpés. La mule chargée à toc permettra de colporter tissus, pierres à sel, images pieuses et nouvelles.

Au petit matin comme promis, nous escaladons la colline en forme de cône qui domine le village. A la hauteur des dernières maisons de bois qui s'accrochent aux pentes abruptes, de petits champs de maïs font le paradis de poules naines. Un peu plus haut, à l'orée d'une haie, un rucher nous impose le détour. Le chemin grimpe dur, nous marchons maintenant dans de la caillasse et des blocs rocheux mais l'effort est récompensé. Le sommet nous procure un superbe panorama au-dessus de Dargai.

Les montagnes du Nord-Ouest se caractérisent par l'absence de végétation naturelle. L'Hindou Kush et le Karakoram sont situés en dehors de la zone des moussons. Les précipitations n'atteignent que les hautes altitudes. Les vallées sont très chaudes et arides en été. Toute culture dépend de l'irrigation artificielle formée par les glaciers.

 

Une seconde nuit est passée chez My Dear. Avant de quitter Dargai, nous prévoyons des provisions pour une longue route. Entre autres, de jolies pommes posées à même le sol attirent notre attention. Le marchand installé au bord de la rue nous vante la qualité du produit de son pommier. Il est vrai que ce sont des fruits magnifiques. C'est bien la première fois que j'en vois de si énormes. A l'aide d'une petite balance à fléau et des cailloux en contrepoids, il nous pèse quelques spécimens qui font plus de huit cents grammes!

Ballottés de gauche à droite, l'autobus qui nous emmène à Dir tient plus de la relique que d'autre chose. La route caillouteuse s'accroche au flanc de la montagne puis redescend au fond de la vallée pour remonter de nouveau. A Chakdana, notre chauffeur tourne à gauche et traverse le pont du Swat. A droite, la route mène dans la vallée du même nom, l'ancienne route de la soie.

Ici, commence le district de Dir. A Timargarha, la route oblique vers le nord et longe la rivière Adinzai avant de franchir la Wuch et d'arriver dans la vallée de Talash.

 

Nous longeons maintenant la Panjkora qui descend du Kohistan. Ses eaux sont utilisées pour l'irrigation des champs de maïs s'étageant sur plusieurs centaines de mètres. Les ponts construits sur le torrent sont rares et plus que douteux. Avant chaque passage, les voyageurs se lèvent, implorent Allah et descendent pour faire la traversée à pied. Le valet de pied guide au pas le chauffeur avec de grands gestes. En-dessous du pont, les eaux tumultueuses du torrent ne feraient qu'une bouchée de notre autobus s'il venait à passer au travers de cet échafaudage de bois. Peu conscient du danger, nous restons seuls à l'intérieur. Le pont traversé, et sans même que le chauffeur ne s'arrête, chacun remonte à l'intérieur et rejoint sa place en attendant le prochain.

Le suivant est beaucoup plus sûr, personne ne bouge de sa place. Seuls deux ou trois Pathans se mettent debout en effeuillant un chapelet. Avant de tourner sur sa gauche pour prendre le pont, le chauffeur effectue un mouvement de braquage à droite pour mieux aborder l'axe du tablier. Au cours de cette manoeuvre hasardeuse, l'aile avant droite percute la paroi rocheuse. Nous sommes arrêtés net dans notre élan. Le moteur fume un peu, alors tout le monde descend pour se rendre compte des dégàts. Plus de peur que de mal. La tôle froissée est détordue et une grande claque sur le capot du moteur annonce un départ immédiat et tant pis pour la fumée!

La route quitte bientôt la rive de la Panjkora pour se diriger vers Dir. La ville ressemble à toutes celles de ces vallées, maisons de bois et de torchis aux ruelles poussiéreuses. La rue principale est toujours très animée. Les commerces sont constitués d'une multitude de petites échoppes s'ouvrant entièrement en façade. Le plancher surmonté d'une soixantaine de centimètres permet d'éviter les projections de boue lors des pluies et des fortes chutes de neige. La ville est dominée par un vaste palais nabal. Des affrontements armés entre groupes rivaux de moudjahidins sont encore fréquents. La population est armée et un homme ne se sépare jamais de sa grosse cartouchière et de son fusil. La vendetta des clans y fait régner une atmosphère menaçante.

Dir est le terminus de notre autocar. La route asphaltée s'arrête à cet endroit. Le reste n'est que pistes et chemins étroits qui ne permettent pas aux camions à gabarit normal de circuler. Pour aller en direction du Lovarri pass, col perché à 3200 mètres d'altitude, nous décidons d'arrêter les voitures à la sortie de la ville.

La circulation est presque inexistante, seules quatre ou cinq Jeep et une paire de mini-camions relient chaque jour la vallée de Dir à celle de Chitral. Nous avons la chance de tomber rapidement sur une Jeep qui fait le trajet. Cinq hommes installés au milieu d'une cargaison hétéroclite occupent déjà l'arrière. Nous sommes neuf au total, mais pas de problème, on se serre les uns contre les autres. Le trajet n'est pas gratuit, Hubert fait le nécessaire et la Jeep démarre en soulevant un nuage de poussière qui nous suivra tout le long du trajet.

Au-delà de Dir, s'étend une magnifique vallée fertile jalonnée de hameaux pittoresques où les maisons en torchis s'élèvent les unes au-dessus des autres: le toit de l'une servant de terrasse à la suivante. Sur ces terrasses, sèche la récolte des cultures qui s'étagent en gradins. Avant les crêtes, poussent des pins et des cèdres de l'Himalaya, puis au-dessus le paysage devient aride.

Nous grimpons maintenant une multitude de lacets. La piste est étroite et en très mauvais état. Le bord, côté précipice, a quelques fois disparu emporté par la fonte des neiges. Pour éviter ces effondrements, notre chauffeur doit manoeuvrer habilement afin d'emprunter le reste du passage, le valet de pied s'apprétant à tout moment à poser une pierre sous la roue arrière pour éviter un recul dans le vide. Plus tard, un petit camion qui descend nous oblige à faire marche arrière sur plusieurs kilomètres. Une niche trouvée, les engins se croisent non sans que les chauffeurs aient fait un brin de causette.

Une casquette américaine, récupérée au Nour, intéresse le valet de pied. Je la lui échange contre son pakol .

La température tombe rapidement, nous approchons du col. Là-haut, nous attend une tchaïkanée. C'est une baraque en bois d'où s'échappe de la cheminée une fumée révélatrice d'une chaleur réconfortante pour le voyageur. L'arrêt y est obligé. Un thé chaud ne pourra nous faire que du bien. En effet, il ne fait que quelques degrés. Je suis transi avec un visage meurtri par l'air glacé. Le terre-plein baigne dans un léger brouillard, nous sautons au sol les jambes ankylosées et prenons la direction de la tchaïkanée. Les vitres sont couvertes de buée, il doit y faire bien chaud. La porte ouverte, nous pénétrons à l'intérieur. Un vieux pathan à la barbe blanche nous accueille chaleureusement et nous invite à s'asseoir à la table de bois. Les murs de planches sont noircis par les lampes à huile. Au milieu de la pièce, le fourneau ronronne et le maître des lieux s'affaire derrière son samovar. Le thé vert est avalé délicatement après l'avoir versé petit à petit dans la soucoupe. Chacun se sent mieux, nous pouvons reprendre notre périple.

La descente du col est dangereuse avec ses deux mille mètres de dénivelé sur une distance de vingt kilomètres et ses quarante-sept lacets en épingle à cheveux. Nous quittons rapidement le brouillard. Au fur et à mesure de la descente l'air se réchauffe. Au passage des nids de poules, nos épaules viennent se meurtrir contre le fusil du voisin.

Au bas du col, nous rejoignons la rivière Chitral qui longe la vallée jusqu'à notre terminus. Nous traversons le village de Drosh construit au pied de l'immense massif de l'Hindu Raj dont les sommets atteignent plus de 6500 mètres.

La vallée est coincée entre l'Hindu Kush à l'ouest et l'Hindu Raj à l'est, c'est l'une des moins développée des territoires du nord. A l'entrée de Chitral, passant devant un terrain de polo, j'aperçois de magnifiques chevaux et leurs cavaliers disputer un match sur gazon. La tradition polo est originaire d'Asie Centrale et fut importée par la route de la soie. Il faut dire que la Chine est toute proche et que la région a subi longtemps son influence.

La Jeep nous laisse devant l'unique hôtel: c'est le "Tirich Mir", nom de la montagne qui domine le nord de la vallée et dont le sommet atteint 7708 m. Nous sommes accueillis à la porte. Dans le couloir de l'entrée, nous enjambons d'énormes sacs à dos avec piolets et cordages. Ils appartiennent à une cordée de japonais qui s'apprête à rejoindre un camp de base du Tirich Mir. Un jeune garçon d'une quinzaine d'années nous accompagne jusqu'à la chambre. C'est le boy, ce qui désigne homme à tout faire, trace du passage des anglais. La pièce est spacieuse. Elle comporte deux lits à étage, deux armoires, une table et des chaises. Des toilettes rudimentaires sont situées dans une courette extérieure. Hubert et Elisabeth acceptent le prix demandé. Nous posons nos bagages et chacun rejoint un lit pour s'y étendre. Ce sont de vrais lits avec sommier, draps, couvertures et dessus de lit. Depuis Nowshera, nous avons très peu mangé, Hubert décide de commander au "boy" un repas de roi, des fries eggs.

 

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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:30

      

Notre première visite est consacrée à la rue du bazar. Un monde fou descend et remonte cette rue large d'une dizaine de mètres. Les échoppes surélevées, accessibles aux marchants par une petite échelle, s'alignent côte à côte sur toute sa longueur. L'importante foule est essentiellement composée d'hommes armés de vieux fusils et de cartouchières. La plupart porte le pakol. Le bazar est un lieu de rencontre. On y fait des affaires plus ou moins légales, tel le marché des pierres précieuses, des tapis Afghans, du haschisch, des armes et du sel. Les uns discutent au milieu de la rue, d'autres, perchés sur un banc comme les poules, les jambes repliées, regardent passer le temps. Ici tout à une valeur: les vieilles pièces de camions ou de fusils, les vieux outils, la tôle, les reliques de chaussures et les boites de conserve vides qui seront transformées pour une toute autre utilisation.

En bas, au coin de la place, il y a l'agence qui vend les billets d'avion pour Peshawar. En effet, au nord de Chitral, il y a un tout petit aéroport desservi deux fois par semaine. Mais, bien souvent le temps est couvert en haute montagne et l'avion ne vient que si le ciel est parfaitement dégagé.

Alors que nous passons dans le quartier, deux policiers nous demandent de les suivre jusqu'au poste situé à deux pas d'ici. Nos passeports y sont vérifiés et le "super-intendant" du bureau griffe une page et y inscrit en anglais "arrivée par la route le 20/09/68". Tous les déplacements des étrangers doivent être signalés aux autorités du lieu afin qu'une trace de leur passage puisse être retrouvée en cas de disparition ou d'enlèvement.

A l'hôtel, le boy est aux petits soins avec nous. Cela fait parti de son travail qui ne s'arrête pas là. Toute la journée, il court faire les courses, sert le thé et les repas, fait le ménage et le nettoyage dans les chambres. Il est bien sympa et nous le taquinons quelques fois, ce qui n'est pas sans lui déplaire. Dans la matinée, tout le monde farniente un peu. Elisabeth lit beaucoup, les autres se reposent. Moi, j'écris ou je raccommode mes précieux vêtements qui s'usent beaucoup. J'y prête une attention toute particulière car je dois les porter encore plusieurs mois. Vers onze heures, je pars seul découvrir les extérieurs de Chitral. Je vais à la recherche de noix et de grenades qui font mon repas de midi. Ainsi, je suis un peu plus indépendant d'Hubert et d'Elisabeth. L'après-midi est souvent consacré au bazar.


La nuit tombe de bonne heure. A cinq heures du soir, les rues se vident soudainement et la lueur des lampes à huile se met à danser derrière les fenêtres. Les gens se couchent très tôt mais dès l'aube, ils arpentent déjà les maïs.

Certains soirs, Hubert me paye un frie eggs ou du riz avec une cuisse de poulet servi dans la chambre. Un jour, en fin de souper, une douce mélodie parvient dans notre pièce par la fenêtre entrebâillée. C'est une complainte qui semble nous appeler. La curiosité nous conduit au travers des rues désertes. L'obscurité y est complète. A tâtons, nous nous dirigeons jusqu'à la lueur d'une bâtisse dont la porte est entrouverte. Tendant la tête à l'intérieur, nous découvrons une grande pièce mal éclairée. Des hommes, assis en cercle à même la terre battue, écoute un conteur. Accompagné d'un musicien, il raconte le temps passé. Un des personnages nous aperçoit et nous invite à compléter le cercle. Chacun s'exécute. La musique ne s'est pas interrompue et je vois la flamme de la lampe qui fait danser les ombres sur les murs. Une fumée épaisse forme des vagues au-dessus de nos têtes, un shilum de haschich passe inlassablement de main en main. Notre musicien joue admirablement bien de la cithare pakistanaise. Chacun se laisse bercer par la complainte interminable de l'aïeul qui ne s'arrêtera que lorsque la lampe à huile donnera des signes de fatigue. La vallée de Chitral produit un haschich très renommé. Sa qualité lui permet même d'être estampillée par le district. Des fumeries comme celles-ci sont organisées à l'intérieur de chaque village.


 

Un jour, avec Michel, nous décidons d'aller à pied en excursion sur la piste de Gilguit dans le nord de Chitral. Nous remontrons la rivière en marchant une journée entière et reviendrons le lendemain. Les sacs à dos sont laissés au Tirich Mir et nous partons sans un sou.

 

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Le temps est beau et chaud, la piste longe les eaux bleues de la Chitral. Le fond de la vallée aux sols alluvionnaires est très fertile. L'irrigation réalisée autour des villages permet là aussi la culture en espalier du riz et du maïs. De temps en temps nous croisons une caravane de mules et de chevaux. Difficilement accessible par un autre moyen, la région proche de la frontière afghane, russe, indienne et chinoise, n'est soumise à aucun contrôle. Des familles entières vivent ainsi de la contrebande, allant ravitailler le bazar de Chitral et de Dir. Les mules, chargées de tissus, d'épices et d'armes, transportent aussi les femmes et les enfants en bas âges sans oublier les poules qui se tiennent en équilibre là où il reste de la place. Les hommes, aux traits durcis par le climat, portent le couteau au ceinturon et le fusil dans le dos. Un chien teigneux arpente sans cesse la tête et la queue du convoi.


Un village est atteint au détour d'un pont. Ecrasé par un soleil de plomb, il semble endormi, pas âme qui vive, pas un bruit. Nous profitons de l'ombre d'un énorme noyer pour nous reposer. Chacune des maisons est entourée d'un mur en pisé, un grenadier ou un figuier préservant de sa fraïcheur le côté le plus ensoleillé. Apparemment, c'est l'heure de la sieste sauf pour un âne qui brait à qui veut bien l'entendre. Nous ressortons du village ni vu ni connu en cassant quelques noix qui feront notre repas.

Continuant notre chemin, nous passons au pied d'une monumentale forteresse qui permet aux gens du village voisin de se retirer en cas de conflits tribaux. Un peu plus loin, au milieu d'une steppe, le seigneur est à la chasse. Droit sur son magnifique cheval et coiffé d'un grand turban noir retombant sur les reins, il tient au bout de son bras un bel oiseau de proie qu'il "décasquera" à la vue du gibier.


Après deux heures de marche, alors que la route se rapproche de la Chitral et du village de Buni, nous rencontrons trois ou quatre pathans occupés à discuter sur le bord de la rive. L'un d'entre eux, un géant d'un mètre quatre-vingt-dix a son chalouar tout trempé et tient à la main une perche de trois mètres.

- Come my dear, come my dear>>, nous dit-il.

Arrivé à sa hauteur, il nous explique que le pont qui mène au village de l'autre côté du torrent à été emporté par les eaux au printemps. Nous comprenons bien qu'il veuille nous faire traverser mais ce n'est pas tout à fait notre intention. Malgré tout, la nuit va bientôt tomber et il serait plus prudent d'aller dormir au village. Et puis, l'homme se veut pressant et nous conseille de ne pas continuer.

Michel retrousse son pantalon et grimpe le premier sur ses épaules. L'homme s'apprête à entrer dans l'eau glacée du torrent. Le courant est rapide et le lit extrêmement glissant. En aval de la traversée, une corde est tendue d'une rive à l'autre. Elle sert de "sécurité" au cas où le transport se passerait mal. Pénétrant doucement dans l'eau, le passeur s'appuie sur sa longue perche et cherche à caler ses pieds nus contre les galets du fond. L'eau arrive maintenant au niveau de ses épaules puis de son menton. C'est paralysé que je regarde la scène. Dire que mon tour approche. Un attroupement se forme autour de Michel dès son arrivée sur l'autre berge. J'aperçois le passeur refaire la traversée à vide qui se déplace plus facilement. Au fur et à mesure qu'il se rapproche, j'ai les jambes qui flageolent.

D'un coup de reins, il soulève mes cinquante kilos et l'épouvantable galère commence. Je n'ai d'yeux que pour la corde. Pourvu que je puisse l'attraper si nous glissons ou si la perche venait à se rompre!

La traversée fait bien cinquante mètres et dure plus de vingt minutes! L'eau m'atteint les cuisses, puis les fesses. Je me cramponne à son menton qui touche la surface. Je sens parfois un déséquilibre et les battements de mon coeur s'accélérer. Arc-bouté sur sa perche, l'homme s'arrête, reprend de l'assurance et imperturbablement continue sa marche sans prononcer une seule parole. Peu après le milieu du torrent, le tirant d'eau diminue en même temps que la profondeur. La démarche est plus aisée mais je reste vigilant tant que je n'ai pas posé le pied à terre. Encore cinq bonnes minutes et tel Bacchus sortant de l'eau notre passeur me dépose sur l'autre rive.

A cet instant, l'homme nous réclame son dû ce que nous n'avions pas prévu. La discussion va bon train car nous n'avons aucune roupie à lui donner. Ce pauvre diable le mérite pourtant bien et nous en sommes tous les deux confus. Pensant que l'on se moque, la colère le prend et attire à lui une horde de moudjahidins armés jusqu'aux dents. Chacun veut se mêler de l'affaire. Je prends peur. Bien que sincères, personne n'a l'air de nous croire et je sens la pression montée. Nous sommes presque chahutés. Je vois quelques fusils passés de l'épaule aux mains. Je sens que ça va mal se terminer. Notre comportement n'est pas apprécié. Michel qui n'en mène pas plus large que moi pense que l'on ne ressortira jamais vivant de notre nasse. Dans quel pétrin on a pu se mettre, bon sang de bon sang !

J'ai l'idée de retourner les poches de mon pantalon, imité par Michel. Chacun peut constater que la vérité est dite et la colère retombe un peu. Nous sommes conduits au petit caravansérail du village. Un moudjahidin nous explique que nous allons passer la nuit ici et que dès l'aube le passeur viendra nous chercher pour retraverser le torrent.

Et bien, ça va mieux! J'ai cru que notre dernier quart d'heure avait sonné. Un modeste repas nous est servi sur une table extérieure. Nous parlons du malentendu que l'on aurait pu éviter si nous avions eu quelques roupies. La nuit tombe brusquement. Un charpoïs est mis à notre disposition. Allongé à la belle étoile je trouve difficilement le sommeil.


Chose promise, chose due. Au petit matin, Bacchus nous raccompagne sur l'autre rive. Nous ne savons comment le remercier. C'est vraiment confus que nous reprenons le long chemin pour Chitral.

Au passage d'un hameau, un brave homme et sa femme nous invitent humblement dans leur demeure. Deux ou trois poules sont chassées de la yourte ronde. Nous sommes conviés à nous asseoir au sol. La pièce est presque vide. De la vaisselle dans un coin, un lit de corde dans un autre et un fourneau au milieu meublent la pièce. La conversation est difficile mais très cordiale. La femme nous sert un thé, voilà qui va nous faire du bien. Il est brûlant. En tournant la cuillère, je devine un soupçon de mousse à la surface. Le bol en bois est porté à hauteur de la bouche et deux ou trois mots d'amabilité sont prononcés. C'est Michel, qui de nous deux, avale la première gorgée. Quelle horreur! Le thé est salé. La politesse doit être rendue, il ne serait pas correct de ne pas apprécier et il esquisse un sourire. Je fais de même. Le thé n'est déjà pas ma "tasse de thé" mais salé, c'est l'enfer. A la première gorgée, j'ai l'estomac qui me remonte au niveau des amygdales. Nouveau sourire, nouvelle lampée, je ne tiens plus, je vais gerber au milieu de la yourte. Avec beaucoup de volonté, nous parvenons pratiquement à vider notre bol mais quel frisson! Nous remercions et saluons nos hôtes sans plus attendre. J'ai hâte de manger une noix qui facilitera à faire passer ce vilain goût.



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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:20


Nous retrouvons Elisabeth et Hubert au Tirich Mir et leur contons nos deux jours d'aventure. Pendant notre absence, ils ont cogité une balade au Nuristan, pays Kalash. L'expédition est prévue pour après-demain. Elle durera plusieurs jours et retour ensuite à l'hôtel.

Les kalash vivent dans trois hautes vallées, Rumbur, Birir, Bumburet. Peuple païens de la  descendance d'Alexandre le Grand, ils furent pour la plupart convertis de force à l'islam au siècle dernier et la province du kafiristan "non croyant" fut rebaptisée "Nuristan".    

 

Le voyage s'effectue obligatoirement à pieds. Les vallées ne sont accessibles que par des chemins muletiers. Partant de bonne heure, nous empruntons la piste menant au village d'Ayun le long de la Chitral. Nous traversons le village et après plusieurs kilomètres nous bifurquons à l'est. Le chemin de la Birir vallée est difficile. Bien souvent encaissé entre deux murs de roche, il longe un petit torrent.


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La marche est longue. Elle ne s'arrête qu'à midi lorsqu’il est apparu quelques maisons éparses.

Les torrents des trois vallées du Kafiristan drainent les alluvions nécessaires pour la fertilisation des terres. Malgré une courte saison, les kalash cultivent une grande variété de céréales et de légumes. La culture du maïs y est très développée ainsi que la vigne. Ce sont les femmes qui travaillent aux champs. Elles ont le teint clair et certaines sont même blondes aux yeux bleus. Ce peuple est resté très traditionnel. Elles portent toujours une ample robe de laine noire, bouffante sur le devant et resserrée à la taille par une longue ceinture. Sur la tête, elles ont de superbes longues coiffes décorées de pompons, de nombreux coquillages et d'une multitude de boutons. Des pièces de monnaie cousues en rangées forment des motifs géométriques.

 

    

Soudain, à notre passage l'une d'entre elles lance un puissant signal. Nous sommes saisis par l'intensité de la voix qui rebondit sur l'autre flanc de la montagne. C'est alors qu'un échange d'échos se produit entre plusieurs femmes travaillant à grandes distances les unes des autres. Le temps de la surprise générale et toute la vallée est au courant de notre présence.

A l'entrée du petit village, nous posons les sacs à terre. La faim nous tenaille. Un petit feu de bois est improvisé à proximité d'un champ de maïs. Deux ou trois catins grillées et une poignée de noix feront l'affaire. Cependant, la fumée attire l'attention d'une des femmes. S'approchant, elle aperçoit les épis qui dorent sur la braise ce qui déclenche en elle une colère monstre. Devant l'offensive de l'attaque, nous sommes dans l'obligation de battre en retraite.



Il existe une passe et un col (Gumbac 3200 m) pour accéder à l'autre vallée. Un vieillard nous l'indique du doigt. La marche reprend. Cette fois-ci, nous grimpons directement dans la montagne. Entrant dans un défilé, nous remontons le lit d'un glacier asséché. Le parcours est difficile. Slalomant entre les énormes pierres qui jonchent le sol, on s'enfonce parfois profondément dans un goulet d'une trentaine de mètres de large.

 

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Au-dessus de nos têtes, le haut de la roche culmine à plusieurs centaines de mètres. De temps en temps, attirés par un bêlement, nous apercevons furtivement des chamois qui nous observent depuis le haut des parois rocheuses.


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          Après la passe, il reste encore le col de Gumbac à franchir. Le chemin de mule serpente maintenant dans de la pierraille pilée jusqu'au pied d'une grande série de lacets. Nous grimpons inlassablement à la file indienne. L'heure tourne vite, il y a trois heures que nous marchons depuis le village. Hubert ouvre la marche et accélère le pas, Michel l'emboîte. J'ai du mal à tenir le rythme, Elisabeth qui me suit n'en peut plus.

Allez courage! Il ne s'agit pas de passer la nuit dehors. C'est ici le fief des loups.
           Encore une heure et le col sera franchi.


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 La descente est amorcée au coucher du soleil. Elle n'en finit pas. Nos jambes fatiguées glissent sur les cailloux, manquant de nous faire chuter. Ce n'est plus de la marche mais de la course. Il devient impératif d'arriver en bas au plus tôt.


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C'est entièrement vidé que nous parvenons dans la vallée.

 

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Le chemin aboutit directement dans un village. Nous devinons dans le noir les maisons dissimulées derrière des murs d'enceinte en pisé et en planches. Un chien annonce notre approche. Le maître sort prudemment, une lampe à huile à la main. Nous l'interpellons. S'avançant doucement, il éclaire nos visages défaits. Il parle anglais et se présente comme le chef du village. C'est une chance pour nous et le brave homme nous ouvre la porte de la maison commune.

La salle de réunion qui sert de temps en temps à régler les problèmes de la communauté est une pièce au sol de terre battue. Elle est peu meublée. La lueur de la lampe nous fait découvrir un magnifique bahut en bois sculpté et des tapis de toutes beautés. Demain, l'homme nous conduira au "guesthouse" du village. En attendant nous pouvons dormir ici en toute sécurité.



Dans la matinée, nous découvrons le village. Chaque maison est construite au centre d'une petite enceinte qui protège les animaux domestiques des nombreux loups qui errent la nuit jusque dans les rues. La vallée est si étroite que toutes les terres fertiles sont exploitées. A l'intérieur de l'enclos, les kailash plantent du maïs, aucun espace n'est laissé inculte. De plus, il sert à nourrir les poules et poulets nains qui sont élevés pour être vendus dans la vallée de Chitral. Certaines maisons construites entièrement en bois et sur pilotis sont d'une architecture admirable. Les portes et les linteaux sculptés de motifs décoratifs sont d'origine très ancienne. Pour éviter un accès direct au logement par les bêtes sauvages, un tronc d'arbre taillé en escalier permet d'accéder à la porte d'entrée. L'intérieur est sombre, les femmes cuisinent dans un foyer situé au centre de la pièce. Il n'y a ni eau ni électricité. Bien que la fumée s'échappe par un trou aménagé au-dessus de l'âtre, les murs et les meubles kalash ciselés sont entièrement noircis.



En fin de matinée, le chef du village nous accompagne au "guesthouse". Il est perché sur le versant nord à cinq cents mètres des habitations. C'est un bâtiment en dur construit à l'époque de la domination anglaise. Dans chaque village et ville du Pakistan et de l'Inde les anglais avaient construit des gîtes pour les fonctionnaires détachés. Ils comportaient le confort européen sauf ici en ce qui concerne l'eau et l'électricité.


 

C'est parfait pour notre séjour. Hubert règle le prix demandé pour deux nuits et commande un repas qui nous sera servi ce soir à domicile. Le "guesthouse" domine le village et une grande partie de la vallée. Nous consacrons l'après-midi au repos. Après cette longue marche de la veille, il est bien mérité.

Le repas est livré à cinq heures, juste avant la nuit. Le "boy" nous sert un riz cuit à l'étouffé dans une riche sauce et de la viande de poulet.

 

Le lendemain, nous passons notre temps à explorer la vallée. Nous y rencontrons pratiquement que les femmes. Elles semblent tenir une place importante au sein de cette société. Les hommes sont de corvée de bois qu'ils entassent pour les longs mois d'hiver. Ils s'occupent aussi de l'élevage de chèvres et de moutons. En ce moment, ce sont les vendanges. A l'aide de grandes hottes de rotin, ils transportent les quelques grappes de raisin jusqu'au pressoir où ils produisent un vin doux, peu alcoolisé mais apprécié.

  

De rares villages sont construits accrochés sur les pentes des montagnes. Certains ont leurs maisons bâties les unes au-dessus des autres. Par curiosité, nous rendons une visite à l'un d'entre eux. Mais pas âme qui vive, il a l'air déserté. Sur les terrasses, des épis de maïs sèchent. Un silence éternel nous met mal à l'aise. Nous avons l'impression de violer un espace privé et faisons demi-tour.


Dès le lever du soleil, nous marchons sur le chemin du retour. La journée sera dure et longue. D'entrée l'ascension du col nous casse les jambes mais quel décor! Chitral sera rejoint peu de temps avant la nuit. 

Notre séjour dans la Province Frontière de Nord-Ouest arrive à sa fin. Dans trois jours, nous serons partis. Hubert nous propose de prendre l'avion jusqu'à Peshawar. Le billet est acheté à l'agence du Bazar au prix de quarante-cinq francs. J'espère que le temps permettra à l'appareil de se poser.

En attendant, le repos est de rigueur. Alors que je suis allongé sur le dessus-de-lit, l'idée de l'emprunter me vient à l'esprit. Ce n'est pas du tout dans ma nature d'opérer de cette façon mais à réfléchir, les mois d'hiver approchent. La petite couverture américaine que je possède est peu efficace et je n'ai pas suffisamment d'argent pour me permettre d'en acheter une autre. Il serait bien heureux d'avoir quelque chose de plus chaud pour mon retour en Europe.

 

C'est aujourd'hui que nous partons. Je n'ai encore jamais pris l'avion et je suis un peu inquiet. J'ai aussi entendu dire qu'il mettait plein gaz au décollage pour atteindre en très peu de temps les sept mille mètres nécessaires pour franchir les chaînes de l'Hindu Raj!

Les sacs bouclés nous quittons notre chambre. Pendant que mes compagnons s'entretiennent avec le patron et le "boy", je m'éclipse discrètement pour retourner dans la chambre. Rapidement, je vide le contenu de mon sac pour rentrer le dessus-de-lit que je roule en boule dans mon treillis. Replaçant mes affaires par-dessus, je ressors et rejoins le hall d'entrée où personne ne s'est aperçu de mon absence.

Nous quittons le Tirich Mir et descendons la rue du bazar pour rejoindre une Jeep devant l'agence. La voiture est là, nous sautons à l'arrière et hop! Le chauffeur prend la direction du petit aéroport.

 

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La piste de décollage s'étend le long de la rivière sur huit cents mètres environs. Un petit baraquement, équipé d'une radio, sert de tour de contrôle.

 

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Il est bientôt dix heures et l'avion n'est pas encore là. Dans un quart d'heure, nous devrions décoller. Le soleil chauffe dur et nous oblige à nous mettre à l'ombre de la bicoque. Après trente minutes d'attente toujours rien. Tout à coup, une Jeep de la police arrive en trombe sur le terrain. Je reconnais le "boy" debout sur le marche pied arrière.426107 2 n

La voiture pile à notre hauteur, il saute au sol fort excité. Pas de dessin, je comprends aussitôt. Il est vraiment en colère et s'en prend à mon sac. L'ouvrant violemment, il fouille énergiquement l'intérieur mais ne voit pas le dessus-de-lit dans le treillis. Il se retourne alors vers le sac d'Hubert pour faire de même. J'interviens à cet instant, lui criant stop! stop! Et sort du treillis l'objet du litige. Mes compagnons sont surpris et comprennent mal. Le "boy" m'arrache brutalement le dessus-de-lit et me passe un savon bien mérité. Puisque l'affaire est arrangée et que je prends l'avion pour Peshawar, les deux policiers laissent tomber.

Alors que la Jeep s'éloigne de la piste, J'avais absolument besion d'une couverture chaude pour la suite de mon voyage. Je m'en explique auprès de mes compagnons mais je me sens tout de même bien penaud. A cet instant, on nous apprend que l'avion ne viendra pas aujourd'hui, le plafond est trop bas au-dessus de l'Hindu Raj.

De retour à l'agence Hubert et Elisabeth qui n'ont pas apprécié mon attitude me demandent de continuer seul mon chemin. Pour ce qui les concerne, ils attendront le prochain vol qui est prévu dans trois jours. Michel lui, partira aujourd'hui. Les billets nous sont remboursés. Hubert à encore la gentillesse de me laisser les quarante-cinq francs (sept euros).

Tchao et bonne chance! Je quitte sur le champ mes compagnons avec beaucoup de regrets.


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