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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:10


Remontant seul le bazar, je pense à la bourde de la matinée. Je me dirige vers les dernières maisons de Chitral, passe le pont du torrent et me poste à proximité du terrain de polo. Une voiture me conduira bien à Dir?

En début d'après-midi, je saute à l'arrière d'une Jeep et me case entre deux moudjahidins. Le chauffeur ne me réclame rien pour ce voyage. J'économise  10 frs (un euros cinquante), le prix qu'Hubert a payé à l'aller pour ce même parcours. Les quarante-cinq francs récupérés du billet d'avion représente le salaire mensuel moyen de la région et j'ai toujours mes 20$. Je vais tenter de ne pas y toucher avant New Delhi où je compte recevoir les deux cents francs d'économie qui me reste.



Après Drosh, nous bifurquons sur Lowari Pass. C'est une chance que le col ne soit pas enneigé. Il arrive qu'à cette époque, il soit déjà fermé certains jours. Une petite halte de réconfort à la tchaïkané du sommet et la Jeep redescend sur Dir où je vais passer la nuit.

 

A l'instant où je sors du caravansérail pour emprunter la rue du bazar, un fonctionnaire de la police locale vient me trouver et me conduit au poste pour prendre attachement de mon passage. Le bureau est situé un peu plus loin entre deux échoppes. Comme toutes les boutiques, il est ouvert sur la rue. L'équipement est plus que rudimentaire; une armoire, une table, un livre d'enregistrement, quelques cachets administratifs et une chaise. L'homme consulte mon passeport et inscrit mon passage sur son grand bouquin. Quittant le poste, je tombe nez à nez avec Michel qui se dirige vers la sortie de la ville. Sans qu'aucun de nous fasse allusion à la journée d'hier, nous effectuons le trajet ensemble.

Dargai est à cent cinquante kilomètres. A quarante kilomètres heure de moyenne, il est possible d'y parvenir avant ce soir. En effet, nous avons la chance de trouver notre voiture. On se tasse un peu parmi le chargement et nous voilà partis pour Timargarha et Chakdarra. A Dargai, nous retrouvons "My Dear" et ses lits de corde pour passer une dernière nuit dans ce pays d'extrêmes.

 

Le vieux Bedford est là devant les bureaux de la compagnie. A neuf heures, il décolle de sa terre battue pour prendre la route bitumée de Marden qui conduit à Nowshera. Durant la descente des derniers contreforts, l'immense plaine de Peshawar apparaït de nouveau au milieu d'une légère brume. J'espère que les freins de l'engin sont en bons états car notre chauffeur ne fait aucun effort pour ralentir dans les virages. Peu après les derniers lacets, alors que nous sommes encore vivants, l'autocar s'arrête au poste frontière provincial puis franchit la barrière pour pénétrer au Panjab. Nowshera est encore à une heure de route.

Traversant le hall de la gare, je me remémore les minutes d'angoisses vécues ici à l'aller. Un train va bientôt partir. Avec Michel, je me précipite au guichet et achète quatre francs un billet pour Lahore.

Le train arrive de Peshawar, toutes les places sont occupées. Les quatre cents kilomètres seront effectués debout. Coups de sifflet, la locomotive s'arrache lentement du quai dans un nuage de vapeur. Les compartiments sont divisés en cellules rectangulaires étroites, chacun comportant deux rangées de trois couchettes de bois superposées. Celles du haut sont pour la plupart occupées comme d'habitude par des panjabis bien gras se prélassant de toute leur longueur. Aucune porte ne sépare les compartiments du couloir. Les banquettes du bas sont partagées par les pathans, les sindhis et les baluchis. Le couloir est encombré de baluchons servant de sièges aux femmes et aux enfants dérangés par les nombreux passages d'un petit marchant de thé ambulant. Aux nombreux arrêts, chacun se débrouille pour quérir une boisson sucrée ou un peu d'eau. C'est vrai que dans la plaine du Panjab nous avons retrouvé la grande chaleur. Sur les quais, attendent des petits vendeurs de bananes, grenades, canne à sucre ou de boissons conservées dans de la glace pilée. Les affaires vont bon train et jusqu'au dernier moment les mains échangent argent et nourriture.

 


 

L A H O R E

 

Passant sur d'énormes ponts de fer, la voie traverse des fleuves géants comme l'Indus, le Jhelum et le Chenab, tandis que nous laissons derrière nous Rawalpindi, Ulalum et Gujrat. En approchant des faubourgs de Lahore, le train klaxonne souvent, de nombreuses personnes longent les voies. Notre convoi entre en gare au milieu d'une intense activité. Nous sommes au terminus, tout le monde descend de voiture. Le hall est fort animé. Des porteurs croulants sous des bagages zigzaguent parmi ceux qui se hasardent à trouver la sortie. Les banquettes en bois débordent de gens qui attendent depuis des heures et encore pour longtemps une correspondance. Certains dorment agglutinés contre des baluchons, d'autres mangent, certains lisent un journal.

Nous devons trouver l'hôtel Bamian situé non loin d'ici. En traversant un quartier populaire, un marchand de soupe nous attire dans son échoppe. Michel qui a une petite faim se laisse tenter et s'assoie sur l'unique banc installé devant une longue tablette fixée au mur et servant de table. Pendant ce temps, je me tiens à l'écart. Extirpé d'un gros faitout, le patron apporte à Michel un bol d'une pitance mijotant sur un vieux fourneau, puis en remplit un autre et m'interpelle. Soupçonnant d'être trop assaisonné, je refuse de boire ce potage. Devant son empressement, j'accepte simplement d'y goûter. Prenant le bol de Michel, j'humecte ma langue du breuvage. Pas de surprise, elle m'emporte la gueule et je refuse la soupe. C'est alors qu'au moment de régler, Michel se voit réclamer la deuxième portion. Devant son refus de payer, le patron se fâche et pose son pied sur mon sac à dos en me saisissant fortement le bras. Il a une force du diable, je ne peux pas me libérer. Aussitôt se forme un attroupement qui attire l'attention d'un agent de ville. Michel part au devant et lui explique la situation. Le type n'en démord pas et me secoue comme un prunier. L'autorité arrive temps bien que mal à juguler la colère du marchand. Mais notre homme se ravise enfin et me lâche le bras sans pour cela décolérer.

Nous quittons bien vite le quartier sans plus attendre à la recherche du Bamian. Rapidement nous y parvenons. Assez austère d'apparence, il fait l'angle d'une grande rue. Seule l'enseigne rappelle qu'il s'agit d'un hôtel. Dans l'escalier, nous croisons un français le crâne presque rasé. Il est chaussé de souliers en croco et tient à la main une boite à violon avec lequel il doit faire la manche. Nous réglons d'abord la chambre pour trois nuits, nous verrons bien plus tard si nous prolongeons notre séjour.


Lahore est une ville de plus d'un million d'habitants aux avenues larges et étendues avec sa porte des éléphants et son palais des miroirs. Ses imposants édifices coloniaux à l'architecture anglo-indienne se complaisent au milieu de parcs verdoyants comme les jardins de Shaliman. La circulation, composée de bus à niveaux comme en Angleterre, de voitures, de nombreuses bicyclettes et d'une grande quantité de rickshaws, est d'une extrême densité. La plupart des conducteurs de ces engins (scooters taxis) louent leur véhicule à un propriétaire. La maigre somme qu'ils leur restent, les frais d'essence déduits, les obligent à travailler près de seize heures par jour, chacun rêvant d'avoir son propre véhicule. Parmi cette intense affluence, se promènent les vaches sacrées que nul n'ose déranger lorsqu'elles se reposent assises au milieu d'un carrefour. Beaucoup sont maigrelettes, elles se nourrissent de toutes sortes de détritus trouvés sur les trottoirs des bas quartiers. Il y a aussi ces chevaux qui, épais comme des sacs d'os, tirent jusqu'à épuisement des plateaux bondés de marchandises.

Au premier matin, je me rends à la poste centrale dans le quartier administratif. Seul mon copain Joél Médina m'a écrit mais peut-être que d'autres lettres m'attendent à New Delhi. Ma lettre à la main, je m'assoie sur un banc du square voisin. Les arbres y sont colossaux, le gazon verdoyant. J'observe le va-et-vient de petits écureuils rayés noirs et blancs. Ils osent s'approcher pour voler au sol les quelques miettes d'un casse-croûte tombées par terre. D'une agilité incroyable, ils rebroussent chemin à la moindre crainte. Dans les haies, une multitude d'oiseaux sautille de branches en branches. Une nuée de perruches grises envahit un arbre en se chamaillant dans un bruit d'enfer et laisse pleuvoir des fientes sur un banc libéré précipitamment.

 

           Le soir venu, je descends manger avec Michel dans le quartier populaire. La majorité des hommes sont vêtus d'un lungi (drap blanc de coton fendu allant de la taille aux mollets) et d'une chemisette. Les femmes sont habillées d'un sari et coiffées d'une longue tresse noire. La pauvreté y est frappante. De nombreux mendiants, pour la plupart handicapés, se trainent au sol. N'ayant que la peau sur les os, ils ont peine à tendre leur timbale cabossée. De temps en temps, un sadhu passe d'un pas fragile. Il a choisi de vivre en marge de la société sans argent et sans bien matériel. Il porte des cheveux très longs et une barbe jamais taillée. Marchant pied-nus, le corps drapé de lambeaux de tissus, il s'en va prêcher la bonne parole de ville en ville et reçoit en échange une hypothétique obole.

Des petits restaurants sont concentrés dans des rues spécialisées. Tous les plats sont agrémentés de sauces épicées très variées ainsi que de riz ou de légumes. Ne pouvant pas m'habituer à manger si fort, je me rabats sur des bananes, des poires et du raisin.

Au détour d'une ruelle, je découvre une toute petite huilerie. Dans une pièce au sol de terre battue, un dromadaire tourne en rond à longueur de journée. Il pousse une barre entrainant une énorme pierre qui écrase des olives. Le jus est récupéré par écoulement dans une grosse jatte. Plus loin, sur un boulevard, une file de jeunes gens attend à l'entrée d'un cinéma. Des affiches grandioses peintes dans le style publicitaire brossent à gros traits les héros d'un film populaire. De séduisantes actrices aux yeux noircis de khôl et à la brillante chevelure y font figure de stars.

Le lendemain après-midi, je ne sais pour quelle raison, nous visitons le zoo de Lahore situé à la périphérie sud de la ville. Pour nous y rendre, nous empruntons le bus. La faune est très européenne, je suis un peu déçu.

De retour, j'ai le temps de passer à la poste. Aucun courrier n'est arrivé. Je dois patienter jusqu'à New Delhi car c'est décidé, demain 16 octobre 1968 sera le jour le plus marquant de mon voyage: Je poserai le pied sur le territoire Indien.

 

A la gare routière, nous repérons notre bus à la carcasse cubique de couleur rouge et crème. Depuis bien longtemps, je sais que c'est le numéro onze qui nous conduira tout droit à la frontière. La douane située à une dizaine de kilomètres en rase campagne ne comporte pas de bâtiments en dur. Les bureaux administratifs se trouvent sous une grande toile tendue en bordure de route. Des tensions existent entre les deux pays, notre bus ne franchira pas la barrière. Après apposition sur nos passeports du cachet de sortie, nous rejoignons à pied le poste Indien. Le douanier est un sikh enturbané, vétu d'une chemise et d'un short anglais. A l'abri de la toile, sur une table de bois et à l'aide d'un cachet de cuivre, il tamponne assidûment et d'une façon très administrative les passeports. Claque, voilà c'est fait, je peux fouler la terre de prédilection.


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 07:00

 


       Depuis mon départ d'Istanbul, il y a deux mois et demi, certains jours furent galères mais aujourd'hui je ressens un bien être mérité. Je suis heureux.
         Aucun bus n'est prévu en correspondance. Au bord de la route, sur une file des taxis "rickshaws bike" attendent les voyageurs. L'un d'entre eux s'approche avec son engin. L'homme en lungi et chemisette nous demande de bien vouloir monter pour nous conduire à la ville. Nous acceptons l'offre, Ferozepore est quand même à huit kilomètres.    


Comme la plupart de ses confrères, il travaille à longueur de journée sur son vélo de location. Notre chauffeur est un grand sec d'un certain âge à la moustache et aux cheveux grisonnants. Ses mollets variqueux, dénués de poil, sont durs comme du bois. Il pédale devant nous, se déhanchant, donnant des coups de sonnette, zigzaguant en doublant des piétons qui s'égarent sur la route. L'impression est grande. Ma conscience m'interroge. Comment puis-je me faire transporter à la sueur de cet homme? Ici personne ne se pose la question, c'est un gagne-pain comme un autre, des milliers d'hindous nourrissent de cette façon leur famille.
           Sur la route bordée de bamians,
nous avons le temps de contempler le paysage à la cadence du coup de pédale. Des rickshaws et des mobylettes filent à toute allure. Notre cyclo-pousse se gare devant la grande gare de Ferozepore. La course réglée, nous saluons notre chauffeur et pénétrons dans le hall.
         

 

New Delhi est encore à quatre cents kilomètres, nous n'y arriverons que demain au petit matin. L'atmosphère de la gare est la même qu'à Lahore. Assis ou allongés sur le sol depuis des heures, beaucoup de monde attend un train.
         En Inde, le réseau des chemins de fer est très développé et les lignes sont pour la plupart à voie unique. Le croisement des trains s'effectue souvent en raze campagne. L'attente sur la voie d'évitement peut durer plus d'une demi-heure ce qui porte la moyenne parcourue à environ trente kilomètres heure. Notre train démarre vers seize heures, le voyage durera jusqu'au petit matin.

 


          Il est six heures, la nuit fut assez pénible avec tout ce bruit dans les compartiments durant les arrêts. Par la fenêtre du couloir, je regarde le paysage sortant de la brume matinale. Les premières maisons en briques rouges de la banlieue de Delhi défilent devant moi. Ce sont de vieilles bâtisses, le plus souvent des bidonvilles. Maintenant, tous les immeubles de trois à quatre étages s'agglutinent les uns contre les autres. Les rues sont sales et la bordure de voie est jonchée de détritus.

Voilà bientôt une heure que notre convoi roule à faible allure à l'intérieur de la banlieue. Les voies se sont décuplées. Le passage de nombreux aiguillages nous ballotte de gauche à droite. Comme le rassemblement des hirondelles à la fin de l'été, un bon nombre d'individus pose culotte. Accroupis en équilibre sur une file de rail et sans que le passage des trains ne les dérange, ils fixent ainsi chaque matin le sédiment sur le ballast.



N E W  D E L H I


Une grande quantité de taxis attende devant la gare. Nous devons nous rendre au Crown dans le quartier de Chowndi chowck au centre du Vieux Delhi. Les sacs à dos sont chargés dans le coffre d'un taxi et notre chauffeur prend la direction de Connaught Place. Cette place est la plus importante de Delhi. Son centre est tapissé de gazon orné de fontaines. Elle est bordée par une double rangée de bâtiments blancs de style colonial. Entre le parc et les boutiques, abrités sous des arcades, se traitent mille commerces: agences de voyages, banques, bijouteries de luxe, boutiques d'ivoire, restaurants... Elle est traversée par des centaines de taxis, rickshaws, vélos, tricycles. La clientèle de Connaught Place est plutôt bourgeoise; sikhs, hauts fonctionnaires en complet veston, étudiants et touristes. Notre taxi s'engouffre dans la vieille ville et remonte une large avenue passant devant le Fort Rouge, citadelle Moghol avec des murailles massives de grès rouge de deux kilomètres de périmètre! Nous quittons l'avenue pour se faufiler dans les rues transversales du vieux Delhi au moment où les magasins et les boutiques se préparent à ouvrir. La voiture s'arrête au pied de l'hôtel à l'angle d'un carrefour déjà encombré de charrettes, de tricycles, d'étales et d'ordures, Les bagages déchargés, la note nous est présentée. Plus de vingt roupies! C'est une somme énorme! Le chauffeur veut nous gruger. Il n'en est pas question. Au départ, le compteur du taxi présentait déjà une prise en charge qui nous paraissait excessive. En cours de route, Michel l'avait signalé. Nous lui proposons la moitié de la somme demandée. Le chauffeur n'est pas d'accord, tant pis, c'est ça et pas une roupie de plus. On s'engage dans l'escalier étroit qui monte dans les étages. Là-haut, nous trouvons le manager dans sa guérite de réception. Le chauffeur montant les marches quatre à quatre nous rattrape à cet instant. Il est vraiment en colère. Parlant vite et fort, il réclame son dû à qui veut l'entendre. Par bonheur, le manager, qui désir sans aucun doute nous garder comme clients, considère que la note est quand même bien salée et lui conseil de déguerpir au plus vite.


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:50


L'hôtel bien que modeste reste encore trop cher. Nous acceptons une place en terrasse sur le toit. Les sacs sont flanqués dans un coin et bien vite nous redescendons les escaliers. Il me tarde de prendre contact avec la rue.

Le rond point est en patte d'oie. Au bout de la rue qui fait face au Crown, on peut apercevoir la gare du Vieux Delhi derrière l'ombrage d'un grand parc. C'est le quartier des petits restaurants où chacun possède un poste de radio ou un tourne-disque dont le volume monté au maximum diffuse des chansons à la voix enfantine et acidulée. De grands ventilateurs brassent inlassablement l'air chaud. Toute la cuisine est à base de curry, composée d'une multitude d'épices: poivre, gingembre, paprika, safran, ce qui ne fait encore pas mon affaire.

Les deux autres rues sont bordées de nombreux petits commerces qui attirent une foule hétéroclite déambulant au milieu de la chaussée où deux vaches toutes blanches mangent du carton. Elles semblent avoir tout le temps pour elles; les rickshaws et tricycles n'ont qu'à zigzaguer dans la cohue pour les éviter.


Des odeurs de friture, de fruits et de légumes pourrissants, d'urine et de crottin de cheval se mêlent aux senteurs du patchouli, du musc, des épices et de l'encens qui se consume dans les échoppes.

Dans l'après-midi, je me rends à la poste centrale de New Delhi. Plus question de prendre le taxi, pas plus qu'un rickshaw. Mes quarante-cinq francs (sept euros) sont en partis claqués. C'est donc à pied que j'emprunte l'envers du chemin de ce matin. J'y vais seul car Michel a retrouvé des anciens compagnons de route et passe son temps avec eux.

         Face à LAL QUILA, imposante citadelle de grès rouge symbole des fastes de l'époque Moghols, s'ouvre une des artères les plus encombrées du Vieux Delhi, Chandin Chowk. Cette avenue, bordée autrefois de palais d'aristocrates et de riches marchands, n'est aujourd'hui qu'un centre de négoce. A l'entrée, un temple jaïn offre ses arcades fraîches et accueillantes. On peut voir des hommes et des femmes appartenants à tous les groupes ethniques ou linguistiques, toutes les castes et sectes de l'Inde. Si les Sikhs sont facilement reconnaissables à leurs turbans et à leurs barbes, les musulmans à leurs calottes de coton, les sadhus à leurs robes ou pagnes oranges et leurs tridents shivaites, la plupart des citadins porte d'anonymes vêtements européens. Les femmes par contre demeurent fidèles aux saris, amples tissus de coton ou de soie dans lesquels elles s'enroulent et qu'elles nouent de différentes manières. Les shivistes ont trois traits horizontaux peints sur le front alors que les vishnouistes arborent le symbole du trident.

New Delhi est quadrillé d'immenses artères bordées d'une végétation abondante. De nombreux parcs publics agrémentent les palais, villas et bâtiments administratifs qui remontent à l'époque coloniale. Les trottoirs et les rues y sont moins encombrés que dans les faubourgs.

Au post-office, deux lettres me sont remises. La première qui vient de ma mère n'est pas des plus gentille. Elle me demande de rentrer immédiatement pour être présent au mariage de Régine sous peine de faire appel à interpol! La deuxième est de Bondy. C'est mon oncle et ma tante qui m'encouragent et qui perçoivent très bien la situation. Ils me demandent d'être très prudent, me conseillent en me laissant l'initiative de mon projet.


Michel a disparu depuis trois jours. Je suis seul dans cette ville de cinq millions d'âmes, dans un pays qui en compte néanmoins sept cents. Cette nation parle seize langues officiellement reconnues et plus de cinq cents langues locales ou dialectes, pratiquant multiples religions comme le Védisme, le Brahmanisme, l'Hindouisme, le Bouddhisme, Sikhs, Jaïnisme.

Le choc culturel, la misère à visage découvert, la chaleur, la flore, la douceur ou la cruauté des indiens, leur lenteur ou leur curiosité, le foisonnement des langues, des cultes et des dieux forment un univers qui me fascine. Je passe mon temps à visiter les vieux quartiers. Le soir venu, des centaines de milliers de loqueteux prennent possession des trottoirs du faubourg. Ils dorment pêle-mêle sur un sol partagé avec les chiens errants et les rats. La gare du Vieux Delhi est prise d'assaut. C'est un lieu privilégié car elle protège de la fraîcheur des petits matins.

J'ai envoyé un courrier pour me faire parvenir les deux cents francs (trente euros) qui me restent à la maison. Je conseille à ma mère de les mettre à l'intérieur d'un papier carbone pour qu'ils ne soient pas repérables par transparence.


Depuis mon arrivée, je suis au régime forcé. Mon pécule de sécurité n'existe pratiquement plus et puis la bouffe est beaucoup trop forte. J'en suis réduit à avaler cinq ou six bananes par jour et un bol de lait caillé de temps en temps. N'ayant pas de réserves suffisantes, je décline rapidement. Mes jambes s'affaiblissent et il m'est de plus en plus pénible de faire le trajet de la poste.

Dans la journée, je m'allonge sur le toit du Crown. Laissant voyager mon esprit, il m'arrive d'observer dans le ciel la ronde interminable des milans en quête de festin. Le frissonnement d'un cerf-volant pris au piège d'un fil électrique me ramène alors à la réalité. Je me lève et regarde au-dessus de la rambarde. En bas, dans la rue, des singes joueurs poussent des cris stridents en plongeant sur les stores des boutiquiers. D'un coup de bâton, ils en sont chassés.


J'ai entendu dire que les temples sikh offraient quelquefois une soupe à ceux qui le désiraient. Pour me changer des bananes, je tente l'expérience à celui du quartier.

Les sikhs vénèrent une épée de fer symbole de la combativité qui devait à l'origine de la religion les protéger contre les attaques du fanatisme musulman. Ils reçoivent à leur baptême le bracelet de fer. Les hommes ne doivent couper ni leurs cheveux ni leur barbe et moustache. Chez eux, ils peuvent garder la tête découverte, leurs cheveux ramassés en chignon au sommet du crâne. Dehors, ils doivent les dissimuler sous un turban. Les sikhs sont dynamiques et entreprenants: hommes d'affaires et commerçants souvent prospères, ils portent en général le patronyme symbolique de Singh (lion).

Le prêtre qui m'accueille à l'entrée du temple m'invite à quitter mes chaussures et me présente un choix de bracelet de baptême. Je dois impérativement en choisir un. Il est volontairement étroit. L'ecclésiastique me le passe en force au poignet. Je n'ai pas besoin de lui expliquer ce que je viens faire. Il est habitué semble-t-il à ce genre de visite. Un sikh est appelé. Il me conduit sur les terrasses du temple et me demande d'attendre là. L'endroit est austère. Les dômes sont couverts de fientes d'oiseaux et des singes se chamaillent une pomme chipée sur un étalage. Chacun dans son coin, une paire de loqueteux s'abreuve d'une soupe chaude. Un vieux sikh s'approche et me tend un bol en bois rempli de bouillon. Il s'efface pudiquement me laissant absorber ce liquide réparateur. Le portant à ma bouche, je le sens envahir mon corps et combler un vide dans mon estomac qui depuis douze jours ne connaît plus que la banane.

Pour économiser mes forces qui ont du mal à se renouveler, je ne me rends à la poste que tous les deux jours. En passant par Connaught Place, je flâne près du self situé en plein air. Je renifle les bonnes frites de chez nous et délire devant une cuisse de poulet doré à point. Poussant vers les commerces de luxe, je m'arrête à la vitrine d'un joaillier qui commerce d'innombrables pierres précieuses comme l'agate, l'améthyste pourpre, le cristal de roche, l'opale, la topaze et bien autres encore en provenance de Cachemire. Dans les boutiques d'orfèvrerie, il est présenté de la vaisselle de haute qualité en or ou en argent, toutes sortes d'objets comme des statuettes en ivoire incrustées de métal, d'émaux ou de pierres précieuses.

Il y a aussi toutes les grandes banques du monde entier qui ont pignon sur rue à proximité de nombreuses agences de voyages vantant un dépaysement total, comme s'il n'existait pas ici.

Je fixe mon espoir dans la lettre qui m'apportera mes deux cents francs car jusqu'à présent, je n'ai pas eu de chance. Le mandat d'Istanbul n'a pas été posté car le jour où maman a voulu me l'envoyer, je lui ai annoncé mon intention de partir pour l'Iran. A Téhéran, il n'est pas arrivé et à Kabul maman n'a pas osé glisser l'argent dans une enveloppe. Cette fois-ci, ça doit marcher. Je suis patient et je reviendrais souvent à la poste. Mais à chaque fois mon moral en prend un coup et je m'en retourne alors au rythme nonchalant d'un loqueteux à qui je finis par ressembler. Je passe désormais mon temps à flâner dans les faubourgs où il y a tant à apprendre et dans lesquels je me fonds de jour en jour.

Nous sommes le 03 novembre 1968, je retire deux lettres de la poste restante. Une des deux est épaisse, elle vient de Montargis. Au toucher, je sais que l'argent est là. Sans plus attendre, d'une main tremblotante, je déchire l'enveloppe laissant maintenant découvrir une liasse de papier carbone. A l'intérieur, il y a quatre billets de cinquante francs (sept euros cinquante), je suis fou de joie. La deuxième est de mon oncle. Ma tante et ma cousine Monique y ont glissé un petit mot. Chacun m'encourage à continuer, je les sens suspendu à mon voyage.

Depuis Istanbul, mon projet est d'aller sur les bords du Gange à Bénarès dans l'Uttar Pradesh. Je le tiens du bout des doigts. Encore mille kilomètres et il sera réalisé.


Le jour se lève à peine lorsque je quitte le toit du Crown. Mon sac à dos est ficelé et j'ai dans la poche un billet de train pour Varanasi (Bénarès). La gare centrale du Vieux Delhi est en effervescence depuis longtemps. Un monde fou s'affaire autour du train déjà à quai. Des porteurs bourrent les bagages par les fenêtres et les portières. Toutes les places étant occupées, je me cale entre de gros baluchons parmi les autres. Un coup de sifflet, un crissement d'enfer, un panache qui enveloppe tout le hall et notre train démarre. Des dizaines de voyageurs restés sur le quai courent et s'accrochent aux marches pieds, d'autres sont tirés directement par les fenêtres.


 

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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:40

             Le jour se lève à peine lorsque je quitte le toit du Crown. Mon sac à dos est ficelé et j'ai dans la poche un billet de train pour Varanasi (Bénarès). La gare centrale du Vieux Delhi est en effervescence depuis longtemps. Un monde fou s'affaire autour du train déjà à quai. Des porteurs bourrent les bagages par les fenêtres et les portières. Toutes les places étant occupées, je me cale entre de gros baluchons parmi d'autres. Un coup de sifflet, un crissement d'enfer, un panache qui enveloppe tout le hall et notre train démarre. Des dizaines de voyageurs restés sur le quai courent et s'accrochent aux marchepieds, d'autres sont tirés directement par les fenêtres. 

Notre train serpente lentement dans les plaines de l'Hariana. Une légère brise soulève la poussière ocre rouge des chemins. Dans un champ, un buffle tire inlassablement le soc d'une charrue rudimentaire, un pique-boeuf festoyant dans le creux de son oreille. Un paon grappille au bord d'un chemin. En arrière-plan, une haie de palmiers laisse filtrer les rayons du soleil.

Les routes se déroulent à l'infini, presque partout ombragées d'une haute voûte de feuillage sous laquelle circulent lentement des chariots tirés par une frêle bufflesse. De temps en temps, notre convoi s'arrête en rase campagne sur une voie d'évitement et attend en plein soleil le train croiseur. Certains descendent de voitures pour se délasser les jambes et remontent en courant aux coups de sifflet du mécanicien. Des paysans en profitent aussi et grimpent à l'intérieur pour vendre des fruits jusqu'à la prochaine voie de garage où ils feront le chemin inverse.

Dans la journée, nous dépassons Agraa et Kampur, des villes de plus d'un million d'habitants. Dans les gares, il n'est plus possible de descendre ou de monter par les portes. Personne ne veut perdre la place qu'il occupe et reste figé dans son coin. Chacun se débrouille alors pour passer par une fenêtre.

La végétation est abondante. Des arbres géants appelés bamian possèdent une circonférence sans cesse accrue par des racines aériennes qui pendent de ses branches et se replantent d'elles-mêmes quand elles ont atteint le sol. A lui seul, un bamian est une petite forêt à l'ombre de laquelle font halte les voyageurs, les villageois et le bétail.

 

Dans la nuit, nous traversons Allahabad avant d'arriver au petit matin à Varanasi. Je n'ai pas dormi un seul instant. Mes jambes sont engourdies, notre convoi vient de parcourir en vingt-quatre heures les mille kilomètres qui nous séparent de New Delhi.

 

 


BE N A R E S



Bénarès, c'est ainsi que s'appelle Varanasi en Hindi. C'est la ville sainte au fleuve sacré, active comme peut l'être un centre de pélerinage avec une population sédentaire relativement réduite et un incessant va-et-vient de résidents occasionnels. Ces derniers viennent dans un but précis, se sanctifier dans le Gange. Se fixer à Bénarès plutôt vers la fin de leur vie afin d'y attendre la mort dans l'espoir d'être incinérés au bord du fleuve et d'être assurés que leurs cendres seront dispersées au fil de l'eau.

Bénarès est situé de l'autre côté du Gange à quelques kilomètres de la gare. Trop fatigué pour effectuer le trajet à pied, je me fais transporter par un tricycle au travers la brume du petit matin. La route qui nous conduit au pont est bordée d'arbres. Stupeur! Ce que j'ai pris au premier abord pour des dindes est en fait une colonie de vautours qui se repose en attendant d'éventuelles ripailles. L'arbre en est entièrement recouvert, quel accueil!

Mon chauffeur pédale comme une mécanique bien huilée. Le pont du fleuve est long de plusieurs kilomètres. Sur l'autre rive, se dresse une ville de huit cent mille habitants avec ses deux mille temples et ses milliers de pélerins. Au carrefour de Golhauliâ, commence la vieille ville, un labyrinthe de venelles et de culs de sacs fendus par la rue Dashâshvannedh. Cet axe, large d'une quinzaine de mètres et long de cinq cents, conduit au ghât le plus sacré du Gange. C'est ici que me dépose mon taxi.

 

         A Istanbul, j'avais entendu parlé des boatghâts qui sont de petits bateaux de dix mètres sur quatre amarrés en permanence à proximité des escaliers et servant éventuellement d'hôtel aux routards lorsqu'ils ne sont pas utilisés. Tout naturellement, je me dirige en direction de l'eau. A l'approche de la rive du fleuve, des centaines de mendiants attendent déjà l'obole du pèlerin qui vient faire ses ablutions du matin. Assis au bord du Gange, un brahmane, vêtu d'une couverture de laine pour se protéger de la fraîcheur, lit le recueil de textes sacrés. Continuant sur les berges, je découvre de nombreux boats accolés les uns aux autres et retenus depuis le bord par des cordages. Je m'approche de l'un d'entre eux et rejoins le pont en retenant mon équilibre au passage d'une planche bien malade. Lors des grandes fêtes religieuses annuelles, ces vieilles coques emmènent les pèlerins en procession sur le fleuve. A l'intérieur, un vieillard à moitié nu est occupé à ses ablutions, Il m'aperçoit et se lève. Devinant ce que je cherche, il me désigne le plancher de la cale entièrement vide. Seule, une banquette qui en fait le tour meuble l'espace. Je m'en tire pour quelques anas par nuit, c'est bon marché mais ça ne vaut guère plus. Mon sac planqué dans le coffre de la banquette, je peux maintenant sortir visiter Bénarès.

Je m'enfonce lentement dans un dédale de ruelles étroites et poussièreuses jonchées d'ordures. A cette heure, elles semblent livrées aux chiens galeux et aux vaches errantes. Les maisons aux murs épais se serrent les unes contre les autres. De nombreux petits temples dédiés à toutes sortes de personnages mythiques sont déjà couverts d'offrandes, de fleurs et d'encens.


                 La plupart des ruelles convergent vers le fleuve et je me retrouve de nouveau sans le vouloir sur les ghâts. Ce sont de grands escaliers de pierre qui plongent dans le fleuve et constituent les berges. Chaque jour des milliers de pèlerins y convergent pour prendre le bain purificateur. Sur une terrasse, des vieillards aux os fragiles s'agglutinent autour d'un four de glaise dans lequel rougissent quelques braises. L'oeil sur la bouilloire qui crachote des relents de lait brûlé, ils attendent l'aumône du premier rayon de soleil ou mieux un verre de thé. Des dizaines d'estrades en bois, plantées de parasols, de palmes tressées, s'alignent au bord du Gange. Dans la journée des prêtres brahmanes y béniront des baigneurs pour quelques roupies ou anas.

Ce spectacle hors du commun attire mon attention. Assis sur un muret, j'observe toute la journée le flot de pélerins qui anime les escaliers. Les uns se purifient pendant des heures dans l'eau divine, les autres méditent sans fin dans la position du lotus.

Le soir tombé, les ghâts se vident petit à petit. Il est l'heure pour moi aussi de rentrer. Je suis le seul locataire du boatghât . Allongé à même la coque, je m'endors bercé par le faible roulis du bateau.

       

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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:30


               Je suis debout pour le lever du jour. C'est l'instant le plus opportun pour observer la vie sur les ghâts. Bénarès est située sur la rive ouest, l'autre rive est maudite et déserte. Accroupi sur les talons, un aveugle attend immobile le lever du soleil. A quelques mètres, coule le Gange. Il ne le voit pas mais sent un grand vide plat se déplacé devant lui. Au petit jour, des hommes et des femmes apportent des fleurs tenues dans la paume de leurs mains. Ils posent délicatement sur l'eau ces fragiles radeaux colorés qui s'en vont tourbillonnants dans le courant. Des mains habiles assemblent des feuilles en minuscules coques, les remplissant de pétales chatoyants, y allument de minuscules bougies et laissent le frêle esquif s'en aller vers la mer.

Au bord de la Dashâshvannedh se constituent déjà des files de faux mendiants. Ils forment une sorte de corporation active dans la ville. Il faut avouer que leurs conceptions sont particulières et quelques fois horrifiantes. En tant que membres d'une corporation, ils obéissent aux directives de leurs dirigeants. Ils apprennent toutes les ruses et tous les stratagèmes qui doivent venir à bout de ceux qu'ils sollicitent et sont conditionnés pour cela. C'est là que se manifeste l'horreur. Certains d'entre eux ont été mutilés dès l'enfance afin de provoquer la pitié. Les uns ont une main tranchée, d'autres se traînent sur le sol, déhanchés, incapables de se redresser, prétextant soit un accident soit une polio.

Aujourd'hui, j'ai fait l'acquisition d'une paire de sandales de bois que portent les sadhus. Seule une cheville entre les doigts de pieds maintient par contraction la semelle. Je dois dire que le confort est plus que précaire et que l'usage demande une réelle habilitée, la semelle devant suivre la position de la plante du pied dans les virages.

C'est aussi le jour d'une grande fête religieuse hindouisme. La rue qui mène au ghât de Dashâshvannedh est bondée de monde en habits très colorés. Une longue colonne d'éléphants déambule aux sons de  sitars, de tambourins et de clochettes. Les énormes pachydermes sont peints et décorés de fleurs pour la circonstance. Ils promènent sur leur dos les respectables Maharadjahs, donateurs financiers de cette procession. Vêtus de vêtements de lumière et éventés à l'aide de longues feuilles de palmes, ils paradent devant la foule.

 

              L'hindouisme rend hommage à une divinité, soit dans les temples, soit à la maison ou bien comme ici au bord du Gange. Des offrandes d'eau, de lait, de fleurs, de lumière (en brûlant du camphre), de graines ou de gâteaux, d'encens ou de parfum sont présentés aux dieux vénérés. Brahmâ en est un, c'est le dieu créateur du monde,Vishnu est le garant de la paix et recours à la paix spirituelle. On lui a dévolu tout un cortège d'incarnations dans des formes archaïques animales. De très nombreux temples lui ont été érigés dans toute l'Inde. Quant à Shiva, il est le dieu dynamique à quatre bras, violant, destructeur et fougueux. En ville, des temples monumentaux se dressent à leurs effigies dominant la campagne de leurs masses effilées. Au coucher du soleil, la pierre du temple vire à l'ocre jaune, découpant les vestibules, encorbellements où dieux et déesses sont sculptés en très hauts reliefs, témoignant de l'âge d'or de la sculpture indienne.


Bénarès est aussi une ville universitaire, artisanale et commerciale. Sa célébrité tient également à la production de somptueux tissus de soie brodés d'or. Ils ont peu à peu été remplacés par des étoffes modernes moins luxueuses et moins onéreuses destinées aux rites quotidiens, par exemple les vases pour ablutions, les cymbales que l'on fait raisonner dans les temples lors des services religieux.

Dans les avenues ou sur les places, des petits marchands vendent des poudres colorées. Elles sont utilisées pour tracer sur le visage et sur le corps les signes symboliques relatifs aux différents cultes, plus particulièrement à celui de Shiva qui prédomine à Bénarès. Je suis tenté par un éventail de petites fioles de vingt couleurs différentes. J'en profite également pour acheter une dizaine de mouches symboles que les hindous collent sur leur front. Ils proposent également des parfums et des guirlandes de fleurs à profusion pour orner les cadavres qui sont portés vers les ghâts funéraires.


La crémation est une chose que je connais peu. Je me sens attiré par cette cérémonie qui s'effectue sur les ghâts funéraires. Assis sur un mur surplombant la plate-forme de l'office, j'assiste pudiquement à un cérémonial.

Un petit cortège, précédé de deux ou trois musiciens, marche à vive allure. Tout de blanc vêtu (couleur de deuil), deux porteurs tiennent à hauteur de leurs épaules une civière. Ils transportent le mort retenu sur celle-ci par des cordelettes végétales et recouvert d'un linceul blanc. Ce cadavre est celui d'un individu décédé quelques heures auparavant et qui va être incinéré dès que son bûcher funéraire sera prêt à le recevoir. En attendant, il est déposé sur les berges du fleuve auprès d'autres civières qui attendent leur tour. Quelques vaches que nul ne chasse, s'approchent et broutent les liens végétals. C'est signe de bon augure.


Bénarès est le lieu où tout croyant hindou a, durant toute son existence, fait le voeu de venir mourir et de se faire incinérer dans le but d'avoir une bonne réincarnation dans sa prochaine vie. A la condition, naturellement, d'avoir eu un parcours honorable durant celle qu'il vient de quitter ou de s'être amendé de telle sorte qu'il peut espérer pour sa prochaine renaissance ne pas régresser dans l'échelle des castes ou seulement dans celle de la condition humaine. Ainsi, l'industrie funéraire est à Bénarès une des plus active et lucrative de la ville.

Les "croque-morts" sont en permanence en contacts avec les cadavres réputés impurs tant que leurs cendres ne seront pas purifiées dans l'eau sacrée du fleuve. Mais, contrairement à bien d'autres basses castes, celle-ci n'est pas toujours pauvre en raison de la régularité des services qu'elle assure. Les crémations se succèdent à une cadence accélérée, de jour comme de nuit. Pour la famille du mort, elles entraînent le plus souvent des frais considérables qui la fait s'endetter irrémédiablement. Les charges de bois pour chaque bûcher coûtent très cher. Sélectionné en raison de son usage rituel, il a fallu abattre l'arbre, le débiter et le stocker car il doit se consommer sans accroc et ne pas manquer jusqu'au dernier instant.

La cérémonie est très simple et se déroule selon un rythme calme et digne. Seuls y prennent part les desservants des ghâts qui empilent les troncs d'arbres et regarnissent le foyer à mesure qu'il flambe. Un seul acteur opère selon les rites. C'est l'héritier mâle le plus proche du défunt, généralement son fils aîné, qui devient le chef de la famille dès le décès de son père. C'est lui aussi qui préside à la crémation de la mère. Son rôle consiste à embraser le bûcher. Il utilise une longue torche qu'il présente à certains points qui s'enflamment facilement. Se faisant, il tourne lentement par cinq fois autour de ces piles de bois en la tenant de la main gauche (réservée aux funérailles). Le cadavre est disposé visage découvert et tout entouré de guirlandes de fleurs sur la plate-forme supérieure du bûcher. Assez rapidement, les flammes l'atteignent, activées par des aspersions d'essences parfumées. Les desservants contrôlent habilement la force du feu.


Un brahmane prêtre et l'héritier se tiennent à proximité du brasier. A la tombée de la nuit, le squelette rougeoie petit à petit. C'est un instant très impressionnant dans ce décor dépouillé de tout apparat. Les assistants vêtus de blanc murmurent des textes sacrés. Le desservant retourne avec une longue perche les morceaux de chair noircie jusqu'à ce que le mort devienne tas de cendres. Au pied de cette scène silencieuse où l'on n'entend que les crépitements du feu, le Gange coule inlassablement et reflète les lueurs dorées du brasier. Soudain, au milieu d'une forte odeur, s'élèvent des psalmodies, des coups de gongs, de cloches frappées. Plus tard, quand les cendres seront refroidies, le célébrant reviendra les recueillir dans un grand pot de cuivre ou de terre. Il en recouvrira l'orifice d'une guirlande de fleurs et s'avancera dans le fleuve pour les disperser dans l'eau sacrée, entraînée doucement par le courant. Pour un nouveau né ou une vache sacrée, le cadavre sera jeté directement dans le Gange.


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:20

 


Au cinquième jour, je suis toujours seul dans mon boatghât. La solitude me pèse un peu. Pourtant, de temps en temps pendant mon sommeil, j'entends les rats courir dans la cale. Ils me réveillent subitement en me passant sur le corps. Un matin, je retrouve mon tube de pénicilline vide, un gaspard m'a vidangé tout l'intérieur. Le voilà maintenant vacciné à vie. L'eau du Gange où flotte de nombreux détritus attire et nourrit un grand nombre de ces bestioles.

C'est seulement après cinq jours passés dans cette ambiance de suprême recueillement et de vie spirituelle que je me familiarise à la dureté de la ville. Les journées passent aux rythmes des vagues de pélerins qui envahissent les ghâts. Souvent, je me rends dans le quartier de Golhauliâ. Les lépreux et les mendiants m'interpellent tout le long de la Dashâshvannedh. Il est difficile de passer indifférent devant une pauvre femme borgne et atrophiée d'une jambe ou d'un vieillard décharné agonisant, la bouche mordant la poussière. L'école de la vie est bien ici.


Aux carrefours des ruelles, des marchands ambulants vantent à tue-tête les mérites respectifs de leur cuisine. Beignets de pommes de terre, de choux fleurs ou d'oignons frits dans l'huile servis avec une sauce épicée, plats de pois chiches, de fèves, de paprika, de brochettes de mouton, d'épis de maïs grillés sur la braise, de bulbes de jacinthes d'eau ou de lotus, de tranches d'ananas salés, poivrés, pimentés, de sorbets glacés au lait de bufflesse! Le marchand de sirop expose ses bouteilles reflétant toutes les couleurs de l'arc-en-ciel. Les vendeurs d'eau glacée patrouillent dans les rues, attelés à leurs carrioles ou à leurs tricycles, étanchant la soif de leurs clients.


En fin d'après midi, les ruelles se remplissent d'une foule en tout genre. Du mendiant à l'étudiant en passant par l'enfant qui tient dans ses mains une offrande, au sadhu qui passe une timbale en évidence, la barbe et les cheveux longs, vêtu d'un unique cache-sexe et portant bracelets brinquebalants, lance et bouclier. Sur une place, c'est un groupe de castrats qui attire l'attention du passant.


Dans une échoppe de tissu, j'ai acheté deux châles jaunes, typiques de Bénarès. Imprimés de textes sacrés, beaucoup les portent comme lungi. Plus loin, je m'arrête devant la boutique d'un marchand d'instruments qui répare aussi bien les vinâs que les sitars et les tablas. J'observe le travail délicat effectué par les doigts du maïtre. A côté, un parfumeur conseille et vend ses secrets dans de minuscules flacons après les avoir fait respirer dans le creux du bras.

 

 


 

- 11 NOVEMBRE 1968:


Le temps s'écoule lentement sur le boatghÔt. La température atteint aujourd'hui vingt-six degrés sur le pont. La journée s'annonce encore belle. Cependant, depuis hier (septième jours de mon arrivée), j'effleure l'idée de rentrer. Depuis ce matin, je fais et refais dans ma tête le chemin du retour en calculant mon arrivée pour le mariage de Régine. J'ai un mois devant moi, ce qui me laisse juste le temps d'effectuer les douze mille kilomètres qui séparent le Gange du Loing.

Cette journée restera également une des plus marquante de ce voyage. Après de longues réflexions, la dure décision est prise: Demain, je retourne à la maison.


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:10

      Au petit matin du douze novembre, le tricycle qui me conduit à la gare passe le grand pont de fer. Je pense au Gange qui coule et qui coulera encore longtemps sans moi emportant dans ses eaux cendres funéraires et fleurs d'offrande. M'éloignant de la ville aux deux mille temples, je réalise que je n'aurai été qu'un spectateur anonyme de la foi de milliers d'hommes et de femmes mettant tout leurs espoirs au service d'un dieu.

 

 

      Le voyage pour New Delhi est long. Le train n'arrivera dans la capitale de l'Hariana que dans vingt-quatre heures. Comme à l'aller, les compartiments sont bondés. Je profite de la fenêtre du couloir pour graver au plus profond de ma mémoire les images merveilleuses de cette campagne indienne qui défile derrière la vitre.

 

 

      Les faubourgs du Vieux Delhi apparaissent dans la matinée du lendemain. Notre convoi s'arrêtera bientôt sous le hall de la gare centrale. A peine entré à quai, des dizaines de voyageurs sautent des marches pieds et traversent les voies. C'est le terminus, tout le monde descend de voiture. Dehors, c'est la ruée vers les rickshaws.            En attendant que la foule se dissipe un peu, je me renseigne sur l'heure d'un départ pour Ferozepore. Le prochain train part demain matin, ce qui me laisse tout l'après-midi de libre. Je vais utiliser ce temps pour faire quelques achats dans le quartier de la gare. Depuis longtemps, j'avais envie d'acheter un grand carré de soie qui sert de sari aux femmes indiennes. C'est dans une échoppe spécialisée que je trouve deux beaux exemplaires à motifs bruns sur fond ocre. Sur les trottoirs, à proximité du Chowk, de petits marchands vendent à même le sol des images pieuses. Elles représentent des scènes de Vishnu, de Shiva et de Brahmâ. J'en choisis cinq ou six que j'affectionne particulièrement. Roulées, elles sont placées dans mon sac à dos. J'espère qu'elles tiendront le coup jusqu'à mon arrivée.

                                           

 

 

        Pour ma dernière nuit en Inde, je décide de dormir dehors et choisis le grand parc de la gare. Ses pelouses seront plus douces qu'un carré de trottoir poussiéreux.

         Assis sur l'herbe, de petits groupes discutent et malgré l'heure tardive les allées sont encore animées. Je m'enfonce au milieu du parc pour trouver un endroit plus calme. Sur un espace libre, j'étends ma toile de fond et m'enroule dans ma petite couverture. Le sommeil est difficile à trouver, il y a encore trop de mouvements. Soudain, au moment de sombrer, je sens la lanière d'une cravache me toucher le dos et une voix me parler en anglais. Je me retourne en me redressant. Une torche m'éblouit les yeux. Ce sont deux gardes civiles de la police qui m'ordonnent de quitter les lieux. Il est interdit de dormir dans le parc. Ce n'est pas de chance et je me souviens de la même aventure à Meched. Je dois plier bagages. La nuit est bien entamée, je me réfugie dans le hall de gare où les places sont chères. J'arrive tant bien que mal à me trouver un coin et j'attends patiemment le petit matin tout en somnolant. Mon train arrivera à Ferozepore qu'en milieu d'après-midi, j'essaierai de récupérer pendant le voyage.

      Les quatre cents kilomètres se sont bien passés. J'ai eu la chance d'avoir une place sur une banquette en bois. Depuis deux jours, j'ai abandonné les sandales de sadhu pour reprendre mes bonnes vieilles Clarks. Mes gros orteils sont mal en point, le frottement de la cheville de bois contre mes pouces a endommagé sérieusement mes chairs et je crains une infection. Je dois les soigner. Lors de mon premier passage, j'ai repéré un hôpital à l'entrée de Ferozepore. Pas très éloigné de la gare, je m'y rends à pied. C'est un immense bâtiment blanc. Une des entrées indique l'infirmerie. J'entre et passe la tête par une porte entrouverte. Un interne de service m'aperçoit et me demande ce qu'il peut faire pour moi. Je lui montre mes blessures. Une auscultation minutieuse est effectuée, des ordres sont donnés et un aide rapporte de la pièce voisine une potion à base de plantes. La consultation et les soins sont gratuits, c'est parfait ! Je repars confiant et rejoins les taxis tricycles qui attendent le client à l'ombre des arbres de l'avenue.

      La route de la frontière est une longue ligne droite de plusieurs kilomètres bordée de bamians et empruntée par de nombreux rickshaws, vélos et piétons. Assis derrière un tricycle, défile dans ma tête tout ce qui m'a profondément marqué ces derniers jours et je ressens une grande amertume. J'ai le réel sentiment de laisser derrière moi un pays immensément grand que j'ai à peine découvert.

      A la douane, mon taxi me dépose aux pieds de la grande toile blanche où défilent devant un bureau quelques pakistanais rentrants au pays. Je me joins à la queue. A mon tour, le sikh qui vérifie les passeports appose d'un coup sec un cachet daté du 14 novembre 1968. Ma tête m'en raisonne. Puis, tel un funambule, je rejoins le poste Pakistanais en marchant au milieu de la chaussée. J'approche de la barrière. Je sens mes yeux s'humidifier et je suis obligé de retenir une larme. Sans me retourner, je jure en silence qu'un jour je reviendrai.

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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 06:00


A quatorze heures, je descends de la gare routière de Lahore où l'agitation est égale à celle d'une grande gare ferroviaire. Demain, je dois me rendre à l'ambassade d'Afghanistan pour obtenir un visa de transit. Cette nuit, je ne dormirai pas dehors. Je descends à l'hôtel Banian pour retrouver un vrai lit que je n'ai pas connu depuis un mois.

L'ambassade n'est pas encore ouverte. En attendant à l'extérieur comme d'autres routards, je fais la connaissance d'un jeune anglais de mon âge: grand, cheveux à la Polnareff, il s'appelle Dave. La porte s'ouvre enfin, hélas c'est pour s'entendre dire que le bureau administratif est en grève et que nous devons repasser demain.


Après une deuxième nuit obligée à Lahore, j'obtiens mon visa en fin de matinée ce qui va me permettre de prendre un train pour Peshawar en tout début d'après-midi. Alors que je m'apprête à faire la queue au guichet, je rencontre Dave qui part au même train que moi. Nous ferons la route ensemble.


Il est vingt heures lorsque nous arrivons à Peshawar. Sur le chemin de l'hôtel, près de la gare routière, Dave achète à un vendeur ambulant de la canne à sucre coupée en morceaux. C'est la première fois que j'y goûte. Il suffit de mâchouiller un morceau pour en extraire le jus sucré. C'est un délice et quel punch!


Il est très tôt quand l'autobus de Kabul s'arrache du terre-plein poussiéreux et prendre aussitôt la direction des zones tribales. A la plaine verdoyante de Peshawar succède maintenant la chaîne de l'Hindou Kouch où nous rencontrons un automne précoce. Rapidement, les feuilles des arbres passent du vert au jaune et le ciel se grisaille. Près de la frontière de Torkham en pays Pachtoune, on s'engouffre dans la fabuleuse Khyber Pass, lieu mythique de l'Ancien Empire Britannique des Indes.

        
                L'hiver est là maintenant, les feuilles des arbres ont disparu et la population est emmitouflée de la tête aux pieds. La buée a envahi les fenêtres du bus. Notre piste traverse Djalâlâbâd et pénêtre dans les gorges étroites creusées par la rivière Kabul pour déboucher sur le haut plateau de la capitale. A l'entrée des faubourgs, la piste longe l'immense campement des caravanes en provenance du Ferghana, du Turkestan, de Samarkand, de Balbek et du Badakhchân. Des centaines de dromadaires au pelage d'hiver paissent une maigre steppe poussant autour des yourtes et des tentes en poils de chèvres noires. Des enfants ficelés dans des sacs de laine se réchauffent en courant derrière des chevaux. La neige est tombée ces jours-ci. La terre battue détrempée s'est transformée en un énorme bourbier.

J'ai plaisir à retrouver Kabul et l'Afghanistan. C'est une ville et un pays d'un autre siècle qui me rappellent beaucoup la vie du moyen-âge. Dehors, il fait un froid de canard. Autour de la ville, les montagnes dentelées sont couvertes d'une pellicule de neige. Il est difficile de marcher sans se couvrir de boue. Dave m'a quitté, il a pris le bus pour Kandahar dès notre arrivée, quant à moi, j'ai l'intention de rester une semaine à Kabul.

Je retrouve le Nour. Le jardin de l'hôtel est endormi dans le froid de l'hiver et le manager a déserté son kiosque pour s'installer à l'intérieur des bâtiments. L'activité n'a rien de semblable à celle de cet été. Le routard semble être entré dans une léthargie contagieuse. Les chambres ne sont pas chauffées et la toilette s'effectue toujours à l'extérieur lorsque l'eau du robinet n'est pas gelée.


Mon petit pull à col roulé et ma veste américaine ne suffisent plus à me réchauffer. Je dois rapidement faire l'achat d'une moumoute de laine épaisse qui ne manque pas dans la rue des fourreurs. Toutes les échoppes, alignées les unes contre les autres, en proposent de toutes sortes à des prix plus que raisonnables. J'en choisis une brodée de fils de couleurs. Elle est bien épaisse et très confortable. Je l'emporte pour cinquante francs (7€50) et en profite pour acheter le gilet de la même texture. Me voilà armé contre la froidure, désormais seuls mes pieds posent problème. Ils ont bien guéri depuis les soins de Ferozepore mais ce sont mes Clarks qui donnent des signes d'extrêmes fatigues. Elles commencent à s'ouvrir sur le devant et laissent passer l'eau et la boue. Je dois faire avec car il ne me reste que soixante-dix francs (11€ environ) pour rentrer.


Enveloppé dans mes vêtements chauds, je passe désormais des nuits plus confortables. Mes journées s'écoulent au bazar que je ne me lasse pas de visiter. J'en profite à chaque fois pour passer à la poste où j'espère recevoir des nouvelles qui me font défaut depuis plus d'un mois.


Les huit jours se sont vites écoulés et demain matin, je reprendrai l'autocar pour Hérat situé à onze cents kilomètres au sud-ouest du pays.

Je quitte également Kabul avec beaucoup de peine, Je suis triste. Au travers d'un trait tracé sur la vitre embuée, je regarde s'éloigner les dernières maisons de la ville. L'autocar file droit devant, prenant toute la largeur de la chaussée. Comme à l'aller, un repas est pris à la citadelle de Ghazni. Le soir même, à la nuit noire l'autobus descend les voyageurs au caravansérail de Kandahar.

Je règle ma nuit à l'aubergiste et dépose mon sac sur la natte qui m'est réservée dans une salle commune. Une fringale me décide à monter manger un palao (pilaf) à la cuisine de l'auberge. Pénêtrant dans la petite pièce qui sert de salle à manger, je tombe nez à nez avec...


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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 05:50

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Gérard et Dominique. C'est la surprise totale, ils sont aussi stupéfaits que moi.

- Attends, attends>>, me disent-ils, suis-nous.

Gérard frappe à une porte du couloir d'à côté et l'ouvre sans même attendre la réponse. Grand dieu! Rudy et Gilbert! Ce n'est pas croyable! C'est fantastique! Je n'en reviens pas. Comment le sort a-t-il pu nous faire retrouver tous ensemble dans ce caravansérail de Kandahar?

Gilbert est assis sur un lit, il passe son temps à écraser des poux de corps qu'il extirpe de son slip et qu'il aligne sur le drap comme un tableau de chasse. Tout le monde est fou de joie. Rudy me dit qu'il arrive de Quetta dans le Baloutchistan et qu'ils ont fait Karachi, Bombay, et Goa dans le sud-ouest de l'Inde. Quant à Gérard et Dominique, ils reviennent de Katmandu au Népal.

Nous décidons d'aller raconter nos aventures devant le palao. Autour de la table, les souvenirs vont bon train et le riz graisseux me paraït étrangement bon. Demain, nous partirons tous pour Hérat, ce sera une journée merveilleuse.

Dans le vieux Bedford, l'atmosphère est à la joie. Nous sommes de nouveau réunis après une séparation de plusieurs mois. Lorsque Gérard nous avait quittés à Kabul, son état de santé n'était pas des plus fameux. Je dois avouer que j'ai eu très peur pour lui le jour où je l'ai vu à l'hôpital. Maintenant, c'est Rudy qui est mal en point, il a contracté la jaunisse à Bombay et n'a pas les moyens de se soigner.
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A Hérat, nous avons juste le temps de changer d'autocar pour filer sur Islam-Kala " Citadelle de l'Islam". A la frontière Iranienne, je fais la rencontre du type aux chaussures en croco que j'avais aperçu à l'hôtel Bamian de Lahore lors de mon premier passage. Il a toujours son violon, les cheveux en brosse et des vêtements pratiquement neufs. Il fera parti de notre bus pour Meched qui attend de l'autre côté de la frontière.

Nous traversons le grand dacht poussiéreux où souffle le vent des cents jours. Comme à l'aller, le voyage est ponctué d'arrêts prières. Le paysage dénudé est monotone, par contre la température extérieure s'est nettement améliorée.

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        Alors que chacun s'est assoupi de son côté, nous sommes tirés du sommeil par une phrase criée en anglais.

 

- Stop! Stop men, I want make some shit!

 

C'est notre homme au croco qui a une envie subite de dégraisser. A cet appel notre chauffeur bloque le bus dans un nuage de poussièère permettant au quidam d'aller s'éclater les sphincters dans le dacht sous le regard amusé des voyageurs. Et bien! Le croco violoneux a chopé une sacrée dysenterie ce qui me rappelle bien de mauvais souvenirs passés dans la région.

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Meched est le terminus de notre bus. La nuit est déjà tombée lorsque nous y mettons pied à terre. Le premier hôtel rencontré sera le bon. Demain matin, nous reprendrons dès l'aube la piste qui nous mènera tout droit à Téhéran. Le chemin représente plus de mille kilomètres. Il n'y a pas de temps à perdre, chacun se couche sans demander son reste.

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Effectivement, la journée est interminable. Nous longeons d'un côté la chaîne de l'Ala-Dagh jusqu'à l'Elbourz et de l'autre la frontière de l'URSS. Puis nous traversons Qüchan, Shirvan, Bojnürd pour descendre dans les riches vallées du Gorgan et du Mazargan, provinces caspiennes. L'Elbourz est franchi de nuit pour atteindre enfin Téhéran au petit matin.

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Croco le violoneux nous quitte ici, c'est un solitaire assurément. Gérard et Dominique sont pressés de rentrer et décident de continuer en stop sans prendre un temps de repos. Rudy, Gilbert et moi restons à Téhéran. Il est impératif de se refaire une santé pécuniaire pour continuer. En effet, il ne reste en caisse pas plus de vingt francs (3 euros) à nous trois!
      

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20 août 2007 1 20 /08 /août /2007 05:40

Mes deux compères m'emmènent à l'hôtel Continental, celui dans lequel ils sont descendus à l'aller. Il se trouve pratiquement en face de celui où j'avais loué une chambre avec Eddo. Cet hôtel est un peu plus confortable et plus grand. Nous présentons nos passeports au manager et réglons la première nuit.

Dans une lettre à mes parents je raconte mes retrouvailles et leur confirme que je devrais être à Montargis pour le 28 décembre. Sans tarder, nous devons nous mettre au travail en pratiquant la manche de la même façon qu'à Istanbul. Un jour sur deux, nous alternerons les équipes et nous opérerons dans le quartier résidentiel "Chémirânt".

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En début d'après-midi, je commence seul la manche. C'est un boulot ingrat mais je n'ai pas d'autres moyens. Je dois foncer. Je prétexte un retour de voyage aux Inde, ce qui est vrai, avec des difficultés pour rentrer en France. La plupart de ceux que je contacte, parlent un excellent français appris durant des études passées à Paris. Je récolte quelques rials, tout juste de quoi me payer un sandwich et mon lit d'hôtel. En tout cas, c'est nettement insuffisant pour en mettre de côté, je persévère.
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Le temps est beaucoup moins froid qu'à Kabul, sept à huit degrés avec un ciel gris et humide. J'aborde un homme du style haut fonctionnaire et lui explique ma requête.

- Pas de problème >>, me dit-il. - Cependant, je dois repasser à mon bureau, venez avec moi.

Perplexe, j'accepte quand même de le suivre. On ne sait jamais, c'est peut-être une bonne occasion qui se présente. Un taxi est arrêté, la direction des quartiers d'affaires est prise. Le chauffeur nous descend au pied d'un immeuble de vingt étages. La course est payée et je suis invité à suivre l'homme à l'intérieur du bâtiment. Le hall moderne est désert. Il est dix-sept heures, tout le monde a quitté son travail. Nous montons en ascenseur jusqu'au dernier étage. N'étant pas trop à l'aise, je ne pose pas de question. Au fond d'un grand couloir moquetté, mon bienfaiteur ouvre une porte de bureau, celle du directeur général de la firme. Convié à passer devant, j'avance au milieu d'un grand salon de travail quand j'aperçois notre homme refermer la porte derrière lui en tournant la serrure à clé. Aïe! Aïe! Aïe! que je n'aime pas ça! Une grande baie vitrée donnant sur la ville éclaire la pièce. Sur un signe, je m'assieds devant un ministre au fond du salon.

          Homme de la cinquantaine au look européen, le DG s'assoit dans son spacieux fauteuil. Il désire me connaître un peu plus et me questionne sur les motifs d'un tel voyage, sur le problème des jeunes en France, sur ma littérature et sur les relations que j'ai avec mes amis. Je vois bien où il veut en venir et je me sens fait comme un rat. La porte est fermée à clé et nous sommes seuls. J'essaie de ne rien faire apparaître de mon inquiétude mais je ne vois pas comment m'échapper de ses griffes. Il entre alors dans le vif du sujet (jeu de mots bien entendu) en me demandant d'être conciliant. A cette condition, il m'aidera à poursuivre mon retour. J'opte pour la fermeté tout en essayant de garder mon sang-froid. J'essaye de philosopher sur le comportement de chacun en concluant qu'en ce qui me concerne, je ne suis pas du tout attiré par ce type de relation. Il m'écoute en me fixant et m'interrompt de temps en temps. Pendant notre conversation, sa main tire lentement un tiroir du bureau. Il essaie de me déconcentré en jetant de temps en temps un coup d'oeil à l'intérieur. C'est sûrement un simulacre pour faire pression, mais peut-être y a-t-il réellement un révolver? Je sue à grosses gouttes, certainement qu'il s'en aperçoit et relâche la tension en me tendant un petit opuscule sur le sujet abordé. Il se ravise alors et repousse le tiroir en se levant pour aller ouvrir la serrure. Sacré dieu! Je respire un peu mieux.

- Levez-vous, nous en resterons là. Je vous raccompagne dans le couloir et vous souhaite bonne chance>>, me lance-t-il depuis la porte.

L'ascenseur refermé, je pousse un ouf de soulagement. Je l'ai quand même échappé bel.

J'ai hâte de me sentir à l'air libre et de rejoindre mes compagnons pour leur conter ma mésaventure. Avec cette histoire, j'ai quand même perdu une heure de manche sans avoir récupéré un seul kopeck.
          

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